Conciliation emploi-famille (Work-life Balance)

Diane-Gabrielle Tremblay, Professeure, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada
sur les enjeux socio-organisationnels de l'économie du savoir
et Directrice de l'ARUC sur la gestion des âges et des temps sociaux
Téluq – Université du Québec à Montréal
dgtrembl@teluq.uqam.ca

La conciliation emploi-famille fait référence à l'idée d'articuler ou de conjuguer les responsabilités professionnelles liées à l'emploi d'une part, et les responsabilités et activités familiales ou personnelles d'autre part.

C'est l'expression conflit travail-famille qui a d'abord été utilisée, essentiellement par les psychologues, pour désigner les conflits de rôles. Les études ont permis de dégager trois formes de conflits : les conflits de temps, de tension et de comportement. Le conflit de temps découle de la surcharge imputable aux multiples rôles et de la difficulté à coordonner les exigences concurrentielles de chacun. Le conflit de tension provient d'un stress vécu dans un rôle, lequel s'insère dans la participation à un autre rôle et vient interférer avec ce dernier. Par exemple, l'emploi qui interfère avec la famille ou l'inverse. Le conflit de comportement a lieu lorsque le comportement spécifique à un rôle est incompatible avec le comportement attendu dans un autre rôle et que les ajustements nécessaires ne sont pas faits par la personne.

Les recherches ont mis en évidence l'influence de la vie professionnelle sur les différentes sphères de la vie personnelle et familiale, soit par une interrelation de ces deux mondes ou encore par l'influence d'autres facteurs en conflit avec le travail comme les loisirs, les parents et le conjoint. Après avoir identifié les sources de ce conflit, les chercheurs se sont davantage intéressés aux éléments permettant de le résoudre ou de le diminuer. De pair avec les entreprises, ils se sont alors penchés sur les mesures et les programmes que les organisations peuvent mettre en place pour faciliter la conciliation des rôles.

Par la suite, les chercheurs ont plutôt parlé d'articulation travail-famille pour exprimer l'idée d'un mouvement ou d'un effort visant à organiser harmonieusement l'ensemble des rôles (parentaux, professionnels, etc.) ou des temps sociaux (temps parental, temps de travail, de loisir, de soins aux proches, etc.). Plus récemment, l'expression conciliation travail-famille, ou work-family balance, s'est imposée, toujours dans cette même idée d'articuler, de concilier les rôles et les temps sociaux. L'expression emploi-famille semble préférable à travail-famille puisque c'est la situation d'emploi (travail salarié ou autonome, distinct du travail domestique, parental ou familial) qui vient en conflit avec les responsabilités familiales et qui doit être articulée ou conciliée avec celles-ci. Certes, le mot travail inclut par définition le travail domestique, surtout depuis que les mouvements féministes ont fait reconnaître sa valeur, mais ce travail domestique renvoie à la famille et se trouve alors des deux côtés de l'expression.

Pour refléter la réalité de l'ensemble des individus, les expressions « conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle » ou encore « conciliation entre les responsabilités professionnelles et familiales-personnelles » seraient plus justes et englobantes, puisque les personnes qui n'ont pas de responsabilités familiales ont toutefois des responsabilités ou activités personnelles (soins personnels, santé, loisirs) qu'elles doivent articuler avec leur emploi. Peu de gens n'ont aucune famille, mais qu'ils aient des enfants vivant toujours au domicile familial ou non, ces personnes ont fort probablement des parents. Or, la responsabilité de parents âgés ou malades est de plus en plus reconnue comme un des éléments majeurs de la conciliation entre emploi et famille; la famille étant entendue ici comme les ascendants (ses propres parents) et les descendants (ses enfants).

Aujourd'hui, les enjeux renvoient essentiellement aux modalités qui doivent être mises en œuvre pour faciliter la conciliation des temps sociaux. Divers acteurs ont des responsabilités à cet égard, non seulement les parents ou les individus ont un rôle à jouer, mais l'entreprise en a aussi un, de même que l'État avec ses politiques publiques. En effet, les difficultés de conciliation emploi-famille entraînent des conséquences néfastes tant pour les employés que pour les employeurs. Pour les employés, les effets peuvent être des problèmes de relations familiales et affectives, un manque de satisfaction au travail ou encore des problèmes de santé et de stress. Pour les employeurs, les inconvénients sont le coût économique de l'absentéisme, les pertes liées à une diminution de la motivation et du rendement, la résistance à la mobilité et aux promotions, le roulement élevé de personnel et la difficulté d'attirer et de retenir un personnel qualifié. C'est en partie en raison des problèmes d'attraction et de rétention de la main-d'œuvre qu'un intérêt est porté à cette question qui est devenue un enjeu majeur pour les entreprises et l'État.

Parmi les mesures identifiées pour favoriser la conciliation figurent les mesures de flexibilité du temps de travail, la semaine comprimée ou réduite à quatre jours, le télétravail à domicile, le cheminement de carrière adapté. Les recherches montrent qu'il ne suffit pas de mettre des mesures en place, mais qu'il faut aussi s'assurer du soutien de l'organisation (Fusulier, Tremblay et Di Loreto, 2008; Tremblay et Genin, 2010). Ainsi, l'organisation doit s'assurer qu'un climat d'ouverture à la discussion autour des difficultés de conciliation règne et que les supérieurs et les collègues y soient suffisamment sensibilisés pour offrir un véritable soutien aux personnes qui en ont besoin. Ainsi, les cadres ne doivent pas pénaliser la carrière des personnes qui souhaitent, pour des motifs de conciliation, réduire leur temps de travail, travailler à domicile pendant quelques années ou encore prendre un congé parental.

La solution au problème de conciliation emploi-famille ne peut reposer sur une stratégie unique. Les services de garde et le congé parental sont des mesures importantes, mais le milieu de travail doit aussi participer. Les besoins des parents varient selon le type de famille et le type d'emploi, mais également au fil des ans. En effet, l'une des variables les plus importantes pour expliquer la réduction des problèmes de conciliation emploi-famille est l'âge des enfants; plus ceux-ci avancent en âge, moins le conflit est important, sauf s'ils ont des difficultés particulières ou des maladies. Par contre, ce sont parfois les parents âgés ou malades qui entraînent des difficultés de conciliation. Aussi le soutien du supérieur et des collègues en milieu de travail est-il également déterminant.

L'aménagement du temps de travail (flexibilité ou réduction) constitue une partie de la solution, car après le besoin de services de garde vient celui de la flexibilité du temps de travail pour les parents de jeunes enfants ou pour les personnes aidant leurs parents âgés ou malades. La conciliation emploi-famille est alors l'un des enjeux majeurs de la société et de l'administration publique, puisqu'elle concerne à la fois les mesures proposées par l'État (services de garde et congé parental) et les incitatifs offerts par les entreprises pour réorganiser le temps de travail, notamment le télétravail.

Bibliographie

Fusulier, B., D.-G. Tremblay et M. Di Loreto (2008). « La conciliation emploi-famille dans le secteur du travail social au Québec : une différence de genre? Quelques éléments de réponse », Politiques sociales, vol. 68, no 1, p. 63-81.

Tremblay, D.-G. (2009). « Quebec's Policies for Work-Family Balance: A Model for Canada? », dans M. Cohen et J. Pulkingham, Public Policy for Women: The State, Income Security and Labour Market Issues, Toronto, University of Toronto Press, p. 271-290.

Tremblay, D.-G. (2008a). Conciliation emploi-famille et temps sociaux, Québec, Presses de l'Université du Québec.

Tremblay, D.-G. (2008b). « Les politiques familiales et l'articulation emploi-famille au Québec et au Canada », dans N. Bigras et G. Cantin (dir.), Dix ans après la politique familiale, où en sont les centres de la petite enfance?, Québec, Presses de l'Université du Québec.

Tremblay, D.-G. (dir.) (2005). De la conciliation emploi-famille à une politique des temps sociaux, Québec, Presses de l'Université du Québec.

Tremblay, D.-G., B. Fusulier et M. Di Loreto (2009). « Le soutien organisationnel à l'égard des carrières : le travail social, un milieu de travail (peu) favorable à la conciliation emploi-famille? », Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail, vol. 4, no 1, p. 27-44.

Tremblay, D.-G. et É. Genin (2010). « Parental Leave: When First Hand Experience Does Not Measure Up To Perception », International Journal of Sociology and Social Policy, vol. 30, n° 9-10, p. 532-544.

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Reproduction
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Pour citer
Tremblay, D.-G. (2012). « Conciliation emploi-famille », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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