Serge Belley, Professor
École nationale d'administration publique

serge.belley@enap.ca

Le terme fusion, issu du mot latin fusio et du verbe fundere qui signifie fondre, désigne de manière générale, selon Larousse, la « réunion en un seul groupe de divers éléments distincts ». La fusion est à distinguer de l'annexion, totale ou partielle, par une entité, généralement de plus grande taille et jouissant de plus de ressources, d'une ou de plusieurs autres entités dont l'existence juridique, à tout le moins pour celles qui sont absorbées en totalité, cesse. En économie, il sera question dans le premier cas d'une fusion-création et dans le second d'une fusion-absorption (Deubel, Montoussé et d'Agostino, 2002).

Les deux situations[1] se rencontrent aussi dans le secteur public lorsque, par exemple, à la suite d'une décision, volontaire ou imposée, deux ou plusieurs municipalités dont les territoires sont contigus fusionnent ou que l'une d'elles annexe, en partie ou en totalité, sa ou ses voisines (Dubuc, 1996). La présente définition se limitera aux fusions, volontaires ou imposées, d'entités politiques autonomes décentralisées. Les réformes du secteur public local conduites ces dernières années dans plusieurs pays, notamment au Canada et au Québec (Belley, 1997; Collin, 2002; Gouvernement du Québec, 1999; O'Brien, 1993; Tindal et Tindal, 2000; Vojnovic, 1997), permettent d'illustrer la complexité des enjeux qui entourent un tel type de fusion. Quatre éléments interreliés seront considérés pour saisir la nature et la dynamique de ces enjeux : le contexte, les acteurs, les options et les effets.

Contexte

La fusion constitue un instrument (Lascoumes et Le Galès, 2004), parmi d'autres, à la disposition d'une autorité politique pour transformer l'organisation du secteur public local sur un territoire. Le recours à un tel instrument peut être volontaire (facultatif) lorsqu'il est laissé à l'initiative des instances locales, ou autoritaire (impératif) lorsqu'il résulte d'une décision unilatérale du gouvernement de tutelle. Le choix de l'une ou de l'autre voie et sa justification sont à mettre en relation avec le contexte spatio-temporel, local et national, voire international, dans lequel ils interviennent. C'est en fonction de ce même contexte que doit être analysée et comprise la finalité, plus ou moins clairement exprimée, d'une politique de restructuration municipale dont la fusion constitue l'un des instruments : plus grande efficacité ou efficience du secteur public (local et national), mise en cohérence des politiques (fiscales, d'aménagement, de transport, d'environnement, etc.) sur un territoire, renforcement des capacités administratives et techniques des instances locales, amélioration de la démocratie locale, etc.

Le recours à un tel instrument ou dispositif d'action publique « qui n'est jamais réductible à une rationalité technique pure » (Lascoumes et Le Galès, 2004) est bel et bien lié à un contexte politique et idéologique donné, mais jamais fixé. C'est en fonction de ce contexte que les acteurs concernés, partisans et opposants, construisent leurs discours, mettent au point leurs stratégies et justifient leurs actions.

Acteurs

La fusion de municipalités comme instrument de politique publique met en scène un grand nombre d'acteurs : élus gouvernementaux et municipaux et leurs agents, groupes locaux ou nationaux pro- ou antifusions, médias, experts (universitaires, consultants, etc.) et citoyens. C'est en fonction des croyances et des valeurs (Bherer et Lemieux, 2002) qui fondent leurs positions et leurs actions que ces acteurs pourront décider de former des coalitions afin de maximiser leurs chances de faire triompher leurs points de vue. Les acteurs partisans des fusions feront ainsi valoir l'idée qu'en réduisant le nombre de municipalités sur un territoire, la gestion publique locale et régionale s'en trouvera améliorée. S'inspirant des bienfaits de la concurrence et des principes chers au nouveau management public, leurs opposants soutiendront au contraire que les petites organisations sont plus performantes que les grandes et que, en conséquence, la fragmentation est préférable à la consolidation (Keating, 1995; Isin, 1998; Sancton, 2000; Desbiens, 1999; Poel, 2000; Bish, 2000; Lightbody, 2006).

Pour le gouvernement de tutelle, appelé à justifier son choix dans un contexte où s'entremêlent problèmes, solutions et priorités politiques (Kingdon, 2003), la décision à prendre (y compris celle de ne rien faire) est d'autant plus difficile que chaque option doit, politiquement et techniquement, être soupesée.

Options

L'analyse des politiques de restructuration municipale montre que des options à la fusion existent : renforcement des structures régionales ou de l'intercommunalité, recours à des ententes intermunicipales ad hoc, privatisation des services, mise en place d'une fiscalité d'agglomération, amélioration des mécanismes de gouvernance multiniveaux, combinaison de mesures structurelles, coopératives et fiscales (Belley, 2002; Collin, Léveillée et Poitras, 2002; Letartre, 1999; Lightbody, 2006). L'analyse de politiques publiques démontre que le choix de la « meilleure » option dépend largement de la façon dont un problème est défini.

Définir un problème, en effet, c'est contribuer à éliminer certaines options. Dit autrement, c'est baliser le processus décisionnel conduisant non pas à la « meilleure » solution, mais à celle qui apparaît, dans tel contexte et concurremment à d'autres, la plus satisfaisante. C'est aussi contribuer, en partie du moins, à dessiner les contours qu'empruntera éventuellement sa mise en œuvre. Ainsi, les cadres cognitifs et normatifs (Jobert et Muller, 1987; Palier et Surel, 2005) qui structurent, notamment à l'étape de la formulation, toute politique publique se superposent aux institutions (Pierson, 2000) pour réduire l'éventail des options. Ils permettent aux acteurs d'anticiper leurs réactions et leurs comportements et, ce faisant, les effets possibles d'une politique, mais pas complètement toutefois puisque toute politique publique produit aussi ses effets propres.

Effets

Les effets d'une fusion sont multiples et complexes à anticiper, à mesurer et à interpréter. Ils sont à la fois internes et externes aux organisations (Poel, 2000; Slack, 2000; Vojnovic, 2000) et leur repérage, comme leur correction éventuelle, dépend des méthodes, des techniques et des indicateurs retenus. Les facteurs à l'origine des effets (anticipés et inattendus) d'une fusion sont nombreux : résistance politique locale, inadéquation ou détournement en cours de route des mesures prévues de mise en œuvre, insuffisance des ressources, notamment financières, manque de leadership politique ou administratif (central ou local), déficience des mécanismes de coordination (centraux et locaux), etc. L'évaluation des effets est en ce sens un puissant test pour le (dys)fonctionnement et les limites d'une réforme structurelle. En plus de fournir une information sur les normes et les règles d'interprétation (marge discrétionnaire) de ses « metteurs en œuvre » et de ses bénéficiaires, elle pourra montrer la difficulté de poursuivre et d'atteindre en même temps des objectifs d'efficacité, d'efficience, d'accessibilité et d'équité dans la prestation des services publics sur un territoire.

En conclusion, si la fusion demeure un pari sur la performance à venir d'une entité nouvelle appelée à remplacer deux ou plusieurs entités existantes dont le fonctionnement et les résultats sont jugés plus ou moins satisfaisants, elle devient, lorsqu'appliquée à la gestion publique locale, un « processus d'instrumentation du territoire » (Estèbe, 2004). C'est en ce sens que la fusion (volontaire ou imposée) de municipalités, plus qu'une simple opération de recadrage des structures existantes, constitue une tentative (jamais aboutie) de mise en ordre et de mise en sens de l'action publique sur un ou des territoires.

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[1] La fusion et l'annexion peuvent aussi être internes à une organisation. C'est le cas, par exemple, lorsque deux unités à l'intérieur d'une organisation, privée ou publique, fusionnent leurs activités pour n'en former plus qu'une ou que l'une annexe, en partie ou en totalité, l'autre.
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Reproduction
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Pour citer
Belley, S. (2012). « Fusion », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)
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