Cycles politiques (Policy Cycles)

Jean-François Savard, Professeur agrégé
École nationale d'administration publique
jean-francois.savard@enap.ca
Avec la collaboration de Rachel Banville

Les cycles politiques sont des phénomènes récursifs ayant comme finalité la création d'une politique publique. La pertinence de leur analyse, qui s'effectue par une décomposition du cycle en étapes (émergence, formulation, mise en œuvre), réside dans l'explication qu'elle procure quant au processus de prise de décision. Plus précisément, les cycles politiques permettent de refléter les réalités sectorielles des processus de politiques publiques.

La notion de cycle politique a été développée aux États-Unis par Harold Lasswell dans les années 1950. À l'époque, il provoque une quasi-révolution en décrivant la science de l'analyse des politiques publiques comme étant multidisciplinaire, orientée vers la solution de problèmes et explicitement normative (Howlett et Ramesh, 2003). Sur la base de ces caractéristiques, Lasswell développe la notion de cycle politique, qu'il décompose en sept étapes fondamentales de prise de décision. Bien que Laswell ait vu juste quant aux trois caractéristiques de l'analyse des politiques publiques, son modèle cyclique est aujourd'hui largement critiqué en raison de son analyse fragmentaire des facteurs explicatifs. Le modèle faisant actuellement consensus au sein de la communauté scientifique se divise en cinq grandes étapes soit, la mise à l'agenda, la formulation des politiques, la prise de décision, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques (Howlett et Ramesh, 2003). Bien que toutes soient pertinentes, trois de ces phases sont cruciales pour la compréhension des cycles politiques.

La première phase du cycle politique est l'émergence des enjeux ou l'agenda-setting. Elle « […] désigne l'étude et la mise en évidence de l'ensemble des processus qui conduisent des faits sociaux à acquérir un statut de “problème public” ne relevant plus de la fatalité (naturelle ou sociale) ou de la sphère privée, et faisant l'objet de débats et de controverses médiatiques et politiques » (Garraud, 2004). La mise à l'agenda est une étape déterminante d'un cycle politique puisque les dynamiques qui s'y rapportent ont un impact décisif à la fois sur l'ensemble du cycle politique et sur les politiques qui en résultent (Lemieux, 2002; Howlett et Ramesh, 2003). De ce fait, plusieurs universitaires se sont intéressés aux facteurs explicatifs relevant des décisions politiques prises à cette étape. Cette réflexion a mené au constat selon lequel la mise à l'agenda est un processus socialement construit (Howlett et Ramesh, 2003) où les acteurs et les institutions jouent un rôle fondamental, en fonction de leurs idéologies, pour déterminer les problèmes ou les enjeux nécessitant une action de la part du gouvernement.

Après avoir reconnu l'existence d'un problème et la nécessité d'y remédier (Howlett et Ramesh, 2003), l'étape de la formulation de la politique sert à définir les options, les analyser en soupesant les avantages et les inconvénients, pour enfin les accepter ou les rejeter (Howlett et Ramesh, 2003). Dès la phase de la définition des options, deux types de contraintes restreignent la marge de manœuvre des décideurs publics. Les contraintes substantielles relèvent de la nature du problème lui-même, et de ce fait, les options pour y remédier nécessitent l'usage d'un grand nombre de ressources étatiques (Howlett et Ramesh, 2003). Les contraintes procédurales, qu'elles soient institutionnelles ou tactiques, c'est-à-dire basées sur des procédures gouvernementales ou sur les liens entre différents acteurs ou groupes sociaux, peuvent aussi influencer toutes les étapes du processus de formulation. Howlett et Ramesh accordent aux contraintes tactiques une attention particulière. Pour eux, les acteurs ou groupes d'acteurs sociaux sont des sous-systèmes influençant de manière fondamentale la formulation des politiques, et ce, selon le degré de cohésion présent entre leurs discours (reflétant valeurs et croyances) et leurs liens sociaux. Ainsi, plus il y aura de cohésion entre les discours et les réseaux d'intérêts dans un sous-système politique, plus il y aura de résistance aux nouvelles idées et aux nouveaux acteurs (Howlett et Ramesh, 2003). Inversement, une structure de sous-système ouverte aux nouvelles idées et aux nouveaux acteurs sera propice à l'innovation, pourvu que le gouvernement soit également favorable à la structure du sous-système. Dans cette perspective, la relation entre le gouvernement et les acteurs sociaux est l'élément fondamental pouvant influencer la formulation des politiques publiques.

Finalement, l'étape de la mise en œuvre représente le moment de l'application d'une politique formulée ou encore « […] un moment de l'action publique où la décision se confronte à la réalité à travers l'application des directives gouvernementales » (Mégie, 2004). Ainsi, il existe généralement un décalage entre les intentions d'une politique et ses résultats (Mégie, 2004), et ce, en raison du rôle des acteurs, particulièrement ceux qui sont à la base même de l'implantation, c'est-à-dire les fonctionnaires. En ce sens, les caractéristiques personnelles (idéologie, intérêts, rationalité, etc.) des fonctionnaires peuvent influencer leurs perceptions ou même leurs intentions quant à la mise en œuvre d'une politique. Cependant, il semble que ce soit l'appartenance à une organisation qui soit le principal déterminant comportemental des fonctionnaires (Brooks, 1998, p. 78). À cet égard, la culture organisationnelle s'avère décisive, puisqu'elle transmet à ces membres des normes idéologiques et professionnelles, ainsi que des techniques propres à l'organisation, pouvant influencer le processus de mise en œuvre (Brooks, 1998). Des acteurs externes peuvent également contribuer au biais entre l'intention gouvernementale et le résultat observable. Par exemple, des groupes de pression ou des partenaires externes qui ont des intérêts précis dans la mise en œuvre d'une politique peuvent influencer la façon dont les fonctionnaires vont assurer la mise en œuvre d'une politique, ce que Selznick qualifie de cooptation (Brooks, 1998).

Pour certains auteurs, le modèle des cycles politiques tel qu'il a été présenté comporte des failles majeures. Par exemple, il peut créer une fausse impression de linéarité absolue où chaque étape du cycle est appliquée dans un ordre précis et automatique, ce qui est loin de la réalité factuelle. Pour Howlett et Ramesh, la défaillance du modèle est plutôt attribuable à l'absence d'explication valable quant aux changements au niveau des cycles. À cet égard, les deux auteurs proposent d'ailleurs une évolution du modèle prenant en compte les changements de deux ordres : normaux ou atypiques.

Un changement normal survient lorsque des facteurs modifient certains aspects de styles et de paradigmes de politiques publiques existants, sans toutefois transformer entièrement la forme ou la configuration du régime de politiques publiques. Cette grande continuité peut s'expliquer par plusieurs facteurs idéologiques et institutionnels qui isolent les régimes de politiques publiques des pressions en faveur d'un changement. Les changements normaux permettent donc une certaine stabilité des cycles politiques, mais constituent également un frein à l'innovation et au changement en favorisant la constitution de monopoles de politiques publiques par le statu quo. Ces monopoles sont généralement assurés par des réseaux assez serrés d'acteurs politiques qui empêchent l'entrée dans un cycle politique d'acteurs favorables aux changements (Howlett et Ramesh, 2003). Bien que les changements normaux soient plus courants, il arrive que surviennent des changements atypiques impliquant des modifications substantielles des styles et des paradigmes. Selon Howlett et Ramesh (2003), ces changements prennent place quand des acteurs du sous-système réalisent que le paradigme n'est plus en mesure de régler les problèmes associés aux politiques.

Au cours des prochaines années, le développement de la notion de changements amènera une meilleure compréhension des enjeux qui y sont associés ainsi qu'un approfondissement théorique bénéfique au concept de cycle politique. De plus, le développement de cette notion devrait également permettre de mieux comprendre les chevauchements entre les étapes et atténuer l'interprétation trop linéaire de l'analyse des cycles politiques.

Bibliographie

Brooks, S. (1998). Public Policy in Canada: An Introduction, Don Mills, Oxford University Press.

Garraud, P. (2004). « Agenda/Émergence », dans L. Boussaguet, S. Jacquot et P. Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, p. 49-56.

Howlett, M. et M. Ramesh (2003). Studying Public Policy: Policy Cycles and Policy Subsystems, Toronto, Oxford University Press.

Lemieux, V. (2002). L'étude des politiques publiques, Québec, Presses de l'Université Laval.

Mégie, A. (2004). « Mise en œuvre », dans L. Boussaguet, S. Jacquot et P. Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, p. 283-289.

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Reproduction
La reproduction totale ou partielle des définitions du Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique est autorisée, à condition d'en indiquer la source.

Pour citer
Savard, J.-F. avec la collaboration de R. Banville (2012). « Cycles politiques », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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