Gouvernance publique (Public Governance)

Benoît Rigaud, Professionnel de recherche
École nationale d'administration publique

benoit.rigaud@enap.ca

La gouvernance publique est un domaine d'étude interdisciplinaire portant sur les relations de pouvoir entre les autorités publiques, la société civile et le marché, dans un contexte de transformation de l'aptitude des communautés politiques à se diriger légitimement et à agir efficacement. Ces relations peuvent être de différentes natures : des relations d'autorité – autorité émanant de l'État, mais également du marché en application de dispositions contractuelles –, des relations d'influence et de persuasion, de contrainte, de coercition et de manipulation (Lukes, 2005). Comme l'évoque son suffixe, le concept de gouvernance renvoie ainsi à l'univers changeant des phénomènes politiques et sociaux qui, en tant que tels, sont difficiles à observer (Rayner, 2009). Cependant, malgré ces difficultés, le concept est particulièrement populaire, éclipsant d'autres qui lui sont proches.

Le premier d'entre eux, le plus simple sur le plan étymologique, est celui de « gouverne ». Pour Bergeron (1977), la gouverne désigne l'ensemble du système d'organisation et de fonctionnement de la société politique, société désignée anciennement en français par le terme politie. Outre cette acception large, une autre plus restreinte se concentre sur la fonction de direction. La gouverne renvoie alors au sens ancien du verbe gouverner qui est de diriger la conduite de quelqu'un ou de quelque chose. Dans le langage de la marine, la gouverne a ainsi le sens « d'action de diriger une embarcation » et par métonymie désigne tout « dispositif pour changer de direction »; il serait alors synonyme de gouvernail (Rey, 1998). L'usage du terme gouverne en science politique permet donc d'évoquer la fonction fondamentale de l'exercice du pouvoir politique, celle de diriger, d'indiquer une orientation ou encore d'arbitrer, de choisir telle voie au détriment d'une autre. Il se traduirait par le terme steering en anglais. Dans les systèmes démocratiques, cette fonction fondamentale se décline en plusieurs activités annexes dont les principales sont celles de définir des politiques, de jouer un rôle d'arbitrage entre les organismes publics et de répondre du fonctionnement du système politique (Rhodes, 1996).

Gouvernement est un autre terme étymologiquement proche de gouvernance. Dans un premier temps, le gouvernement est considéré comme une organisation (Harguindéguy, 2007). Le terme désigne alors l'ensemble des personnes physiques ou morales qui exercent une autorité de type politique sur un territoire donné. Si en anglais le terme government renvoie à l'ensemble des administrations publiques et se confond alors avec le sens du mot français État, son usage est restreint en français et convient plutôt aux personnes et aux organisations exerçant la gouverne. Dans un second temps, gouvernement est utilisé dans des synecdoques, des phrases dans lesquelles un terme pouvant référer à des entités concrètes désigne plutôt un ensemble d'abstractions. Il renvoie dans ce cas aux processus et aux activités qui spécifient la manière de gouverner, ce qui se traduit par le terme governing en anglais.

C'est par ce passage d'une conception fixiste et descriptive de l'étude des organisations publiques à une autre plus attentive à la dynamique des relations entre les gouvernants et les gouvernés que les études relatives à la gouvernance publique établissent leur pertinence (Bevir, 2007). En effet, ces relations seraient devenues plus complexes au cours des dernières décennies dans les sociétés postindustrielles (Kooiman, 2003) pour un ensemble de raisons qui tiennent aux changements qu'ont connus les structures de ces sociétés, notamment l'individualisation et l'atomisation des groupes constitutifs de la société civile, et les structures politico-administratives lors de processus de recomposition des échelles de l'action publique au profit du local ou du suprational.

Devant ces changements qui remettent en cause leur capacité d'influer sur l'évolution de la société à la suite du tournant néo-libéral des années 1980 (Jobert, 1994), les gouvernements se sont focalisés sur des solutions visant à faciliter leurs transactions avec les citoyens en adoptant des pratiques propres aux relations marchandes ou en privatisant purement et simplement certains secteurs de l'économie publique. Le rapport à l'État a en conséquence évolué dans une perspective essentiellement managérialiste d'augmentation du rendement des services publics. Les réformes managérialistes des services publics ont eu toutefois pour conséquences néfastes d'alimenter le cynisme envers les institutions gouvernementales et leur aptitude à orienter le changement (Rosanvallon, 2006). En effet, leur mise en œuvre a été justifiée sur la base d'arguments voulant que, pour s'adapter aux effets de la mondialisation, il n'y ait pas d'alternative à la réduction des services publics et au retrait de l'État des activités de régulation (Hassenteufel, 2008). Étant donné qu'il n'y aurait qu'un seul modèle de gouvernance efficace, cet argumentaire limite considérablement la marge de manœuvre du politique en définissant comme strictement économiques des choix qui ont d'importants effets sur la distribution du pouvoir et des ressources dans la société. Il favorise aussi une technocratisation des affaires publiques souvent peu soucieuse des principes de transparence et d'ouverture des processus décisionnels (Callon, Lascoumes et Barthes, 2001; Schiffino et Jacob, 2011). Dans un tel contexte, les démarches visant l'amélioration de l'efficacité des services publics et celles concernant le renforcement de la légitimité de l'action publique peuvent entrer en contradiction (Rosanvallon, 2008; Gattinger, 2009). En s'inspirant des travaux sur la démocratie administrative et sur l'État stratège (Chevallier, 2011; Coté, Lévesque et Morneau, 2009), un des axes de recherche à privilégier dans l'étude de la gouvernance publique devrait ainsi concerner le rôle des administrations publiques en tant qu'animatrices d'arrangements institutionnels visant la synergie entre ces deux types de démarches.

Sur le plan méthodologique, le principal défi de l'étude de la gouvernance publique tient en la définition d'un objet qui soit révélateur des changements majeurs des relations entre les autorités publiques, la société civile et le marché, sans être toutefois trop large sous peine de ne pouvoir rendre compte du phénomène de spécialisation de l'univers des politiques en systèmes de politiques (Howlett et Ramesh, 2003; Beck, 2003; Sabatier, 2007). L'étude de la gouvernance publique ne devient ainsi pertinente et faisable qu'à la suite d'un exercice de délimitation de l'objet d'étude (Rigaud et Côté, 2011). Considérant un territoire, un principe ou encore un secteur d'intervention particulier, l'étude de la gouvernance publique peut devenir alors, par exemple, celle de la gouvernance urbaine, de la gouvernance démocratique ou de la gouvernance de l'éducation. Dans ce contexte, les analystes de la gouvernance publique sont invités à multiplier les études empiriques et surtout à concevoir la possibilité d'un développement interdisciplinaire des connaissances issues des sciences humaines (Offerlé et Rousso, 2008) et des sciences dites dures. Tout comme les échanges entre économistes et politologues ont révélé les dimensions politiques des réformes managérialistes (Dolowitz et Marsh, 2000), des échanges plus soutenus entre des chercheurs de différents horizons scientifiques pourraient permettre à l'avenir d'intégrer des connaissances de diverses natures dans les débats relatifs aux modèles souhaitables de gouvernance publique (Beck, 2003).

Bibliographie

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Reproduction
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Pour citer
Rigaud, B. (2012). « Gouvernance publique », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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