Agence (Agency)

Benoît Rigaud, Professionnel de recherche
École nationale d'administration publique

benoit.rigaud@enap.ca

En administration publique, une agence est une entité qui bénéficie d'une certaine autonomie, sans être formellement indépendante vis-à-vis d'un des organismes centraux du gouvernement (un ministère), et qui prend en charge des services d'intérêt public pour le compte de ce dernier.

À l'instar de gouvernance ou de réseau et au-delà des effets de mode, l'usage du mot agence est particulièrement populaire depuis la fin des années 1970. Devant la mise en évidence des défaillances des bureaucraties, notamment critiquées par l'école des choix rationnels (Shughart et Razzolini, 2001), plusieurs réformes visant à déléguer certains services ou composantes de services publics ont été mises en œuvre dans les pays de l'OCDE, dont la plus populaire demeure la réforme britannique Next Steps. Le phénomène d'agencification en administration publique (Flinders, 2004) trouve ainsi ses origines historiques dans le tournant néolibéral et la vague de dérégulation de l'économie des années 1970 et 1980 (Jobert, 1994). Mais plus que la simple transposition dans le secteur public de pratiques du secteur privé préconisée par Osborn et Gaebler (1992), ce phénomène, par sa durée, son ampleur et sa diversité, ne peut être réduit qu'à la mise en œuvre du managérialisme et du nouveau management public. Il traduit plutôt un changement structurel de la gestion publique selon lequel la recherche de la performance tente d'être conciliée avec des exigences renouvelées de service public (Pollitt et Talbot, 2004).

Le terme « agence » est employé pour qualifier des entités fort disparates, tant en ce qui concerne leurs mandats (par exemple, réguler un secteur d'activité économique, fournir des services publics, conseiller le gouvernement, favoriser la participation citoyenne), leurs raisons d'être (plus ou moins idéologiques) et leurs designs institutionnels. Pour éviter qu'il devienne un terme fourre-tout et qu'il perde ainsi sa pertinence, il devrait être utilisé pour qualifier une entité qui possède les deux attributs relativement généraux suivants. Premièrement, la création d'une agence passe nécessairement par une délégation de certains pouvoirs de gestion. Cherchant à mettre le politique à l'écart de la gestion des services publics, cette délégation tend à améliorer l'allocation des biens publics (Epstein et O'Halloran, 1999). En effet, l'entreprise politique, dont les attributs sont la poursuite du pouvoir par les chefs de parti et la poursuite d'objectifs et de l'obtention d'avantages personnels par les militants (Weber, 2003), ne permettrait pas une allocation optimale des ressources. Les élus doivent alors volontairement, en créant notamment des agences, s'engager à ne plus influencer par électoralisme ou clientélisme les mécanismes de distribution, de redistribution et de régulation des services publics. Dans le cadre de cet engagement crédible (Miller, 2000), les activités dites stratégiques, qui relèvent de l'organisme central de tutelle (le « principal » selon la théorie de l'agence), sont distinguées des activités opérationnelles, lesquelles peuvent être déléguées à une entité externe, une agence en l'occurrence (nommée « agent » selon cette même théorie). Deuxièmement, pour mener à bien son mandat, cette agence dispose d'un pouvoir discrétionnaire quant à l'utilisation des ressources qui lui sont allouées par le principal. L'exercice de ce pouvoir est toutefois encadré par différentes normes ou conventions établies par le principal.

En s'inspirant de l'étude comparative de Yataganas (2001) sur les agences en Europe et aux États-Unis, on peut identifier quatre instruments encadrant la gestion des agences. Le premier d'entre eux, et le plus important politiquement, est celui relatif à la détermination de l'autorité détenant le pouvoir de nommer le ou les dirigeants des agences et à la détermination des responsabilités de ces dirigeants. Pour assurer un échange soutenu entre le principal et l'agent, on observe que la plupart des agences ont un mode de direction bicéphale entre, d'une part, le directeur général de l'agence qui la représente et qui assume les activités routinières de gestion et, d'autre part, le conseil d'administration, qui est composé de représentants du ou des principaux et parfois de représentants de la société civile. Deuxièmement, pour qu'une entité publique soit qualifiée d'agence, ses contrôles budgétaires doivent s'effectuer a posteriori sur la base d'une définition claire des résultats obtenus. Troisièmement, la gestion d'une agence valorise une approche procédurale dans la mesure où ses pratiques administratives ne sont pas seulement déterminées par le texte juridique qui l'a constituée, mais également par les politiques internes, les avis, les directives produites par le conseil d'administration. Quatrièmement, l'un des avantages recherchés par la création d'une agence est de permettre la spécialisation, le développement d'expertise dans un cadre stable et à l'abri des vicissitudes de l'ordre du jour gouvernemental. L'agencification serait alors synonyme de professionnalisation, c'est-à-dire de régulation des services publics par le respect des normes de la probité professionnelle. La contrepartie de la mise en place de ces conditions pérennes tient donc au rehaussement des exigences en matière d'éthique et de protection de l'indépendance des décisions de l'agence envers l'influence des intérêts concernés.

Loin de dépolitiser les affaires publiques, la création d'agences dans les pays de l'OCDE et la contractualisation des relations entre acteurs publics qu'elle suppose témoignent ainsi d'une transformation en profondeur de la gestion publique. Comme tout contrat, celui qui concerne une agence publique est toujours incomplet et sujet à interprétation. Le risque de l'agencification renvoie donc à celui de la constitution d'un vacuum en matière d'imputabilité. Le rôle des élus politiques, s'il est mis à distance volontairement, demeure alors celui de défendre l'intérêt général en élaborant des compromis entre habilitation de l'agent et contrôle proportionné.

Bibliographie

Epstein, D. et S. O'Halloran (1999). Delegating Powers: A Transaction Cost Politics Approach to Policy Making under Separate Powers, Cambridge, Cambridge University Press.

Flinders, M. (2004). « Distributed Public Governance in the European Union », Journal of European Public Policy, vol. 11, n° 3, p. 520-544.

Jobert, B. (dir.) (1994). Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L'Harmattan.

Miller, G. (2000). « Above Politics: Credible Commitment and Efficiency in the Design of Public Agencies », Journal of Public Administration Research and Theory, vol. 10, no 2, p. 289-327.

Osborne, D. et T. Gaebler (1992). Reinventing Government: How the Entrepreneurial Spirit Is Transforming the Public Sector, Reading, Addison-Wesley Publishing Company, Inc.

Pollitt, C. et C. Talbot (dir.) (2004). Unbundled Government: A Critical Analysis of the Global Trend to Agencies, Quangos and Contractualisation, London, Routledge, Routledge Studies in Public Management.

Shughart, W. et L. Razzolini (2001). The Elgar Companion to Public Choice, Cheltenham, Edward Elgar Pub.

Weber, M. (2003). Économie et société, vol. 1, tome 1, Paris, Agora Pocket.

Yataganas, X. (2001). Delegation of Regulatory Authority in the European Union: The Relevance of the American Model of Independent Agencies, Cambridge, Harvard Law School, Jean Monnet Working Paper.

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Reproduction
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Pour citer
Rigaud, B. (2012). « Agence », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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