Privatisation et nationalisation (Privatization and Nationalization)

Taïeb Hafsi, Professeur titulaire et Titulaire de la Chaire de management
stratégique international Walter-J.-Somers
HEC Montréal
taieb.2.hafsi@hec.ca

La privatisation est le nom généralement donné à la vente effectuée par l'État, ou par l'un de ses établissements, d'une partie de ses activités. Ainsi seront identifiées la privatisation d'Air Canada ou la privatisation de la Raffinerie de sucre du Québec.

Historiquement, la privatisation a été précédée du phénomène inverse, soit l'achat ou la confiscation, au profit de l'État, d'activités auparavant réalisées par une organisation de propriété privée. Ainsi, le Québec a nationalisé les sociétés d'électricité en 1962 et les a confiées à Hydro-Québec, l'entreprise nationale québécoise d'électricité. La société Renault en France a été nationalisée, au lendemain de la guerre, par le gouvernement du général de Gaulle pour punir la famille
Renault qui avait collaboré avec le pouvoir allemand d'Hitler.

La privatisation est un phénomène qui existe depuis longtemps. Elle existait déjà au temps des monarchies européennes ou des empereurs chinois, ceux-ci vendaient des prérogatives royales à des personnes privées. Ainsi, la collecte d'impôts, la taxation générale ou la collecte de tarifs sur l'utilisation des services publics étaient assurées par des acteurs privés qui reversaient un montant ou un pourcentage au roi. De même, la création de la Compagnie des Indes orientales en Angleterre était une licence d'un privilège royal vendue à des acteurs privés contre paiement. La création des entreprises, et la loi qui l'autorise aujourd'hui un peu partout, peut aussi être considérée comme une privatisation d'une prérogative ou d'un privilège royal.

La nationalisation est un phénomène relativement plus récent. Ce sont les abus de certains acteurs privés et les réactions du public contre ces abus qui ont amené l'État à reprendre en mains certaines de ses activités. Ainsi, Franklin D. Roosevelt, alors gouverneur de l'État de New York, a nationalisé les sociétés d'électricité avant la grande dépression parce que celles-ci abusaient de leur monopole en faisant payer à des consommateurs captifs des prix considérés comme excessifs (Hafsi et Demers, 1987).

Cependant, au cours de la période moderne, le phénomène de nationalisation a accompagné les transformations de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les économies européennes, décimées par la guerre et par la dépression économique, ne pouvaient être remises sur pied que par l'investissement massif du gouvernement. La pénurie d'acteurs privés crédibles et acceptables pour la population a mené à la création d'un secteur d'État dont la base était la nationalisation des grandes entreprises dont les comportements pendant la guerre avaient été considérés comme inacceptables ou qui étaient en cessation de paiement. Ainsi en fut-il de la nationalisation des industries de l'acier, du charbon et de l'automobile. Cela fut accompagné de nationalisations justifiées par l'analyse économique, par exemple, la nationalisation des grands services publics comme l'électricité. Ces nationalisations étaient surtout justifiées par l'existence de monopoles naturels dans lesquels le prix était amené à descendre au niveau du prix marginal donc en dessous du prix moyen, ce qui mettait en difficulté toutes les entreprises en concurrence et créait une situation dommageable pour le bien-être collectif. La nationalisation empêchait la concurrence, mais mettait l'industrie entre des mains perçues comme étant sûres et plus justes vis-à-vis du consommateur, soit celles de l'État (Stoffaës et Victorri, 1977).

Les nationalisations ne peuvent être comprises sans une mise en contexte. Trois éléments sont importants : la nature des objectifs explicites, les motivations mises de l'avant par les analyses universitaires ainsi que les considérations culturelles et géographiques (Hafsi, 1984).

Les objectifs généralement mentionnés par les responsables de l'État lors de nationalisations sont de quatre types qui, ensemble, peuvent décrire le rôle du secteur d'État en Europe après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi dans tous les pays en développement après leur indépendance. Ces objectifs sont le contrôle économique et social, l'équilibre et le développement économique, la promotion de l'équité et de l'équilibre sociopolitique et la sauvegarde de la souveraineté nationale.

Les analyses universitaires mettent plutôt de l'avant quatre grandes raisons : des raisons idéologiques (contrôle par les représentants du peuple), de contrôle bureaucratique (comme les nationalisations par le Parti travailliste anglais au lendemain de la Seconde Guerre ou par le Parti socialiste en France en 1981), électorales (en Angleterre où ont eu lieu plusieurs nationalisations et dénationalisations liées aux enjeux politiques dans les années 1970 et 1980) ou politiques (la nationalisation française en 1981 était destinée à donner au Parti socialiste un pouvoir de levier important sur l'économie).

La privatisation de la période moderne est aussi un phénomène nouveau, généralement lié à la crise de l'État-providence, et une réaction aux politiques keynésiennes américaines et européennes de l'après-guerre. Le développement considérable du secteur public à la suite des nationalisations et la philosophie étatiste des années 1950 à 1970 ont rendu la gestion de l'État beaucoup plus complexe et aussi beaucoup plus coûteuse (Barbe et autres, 1986). Les impôts ont atteint des niveaux qui ont suscité la révolte de citoyens un peu partout dans le monde et en particulier aux États-Unis. La philosophie de réduction de la complexité de l'État et de son impact administratif sur la société, véhiculée par des économistes et des universitaires néolibéraux depuis les années 1960, a pris une vie nouvelle avec les impulsions majeures données par la première ministre du Royaume-Uni, Margaret Thatcher, et le président des États-Unis, Ronald Reagan, au début des années 1980. Une vraie révolution a pris place dans la gestion de l'État, révolution qui s'est accompagnée d'une vague sans précédent de privatisations et qui a donné naissance à la notion de nouveau management public.

Cette vague de privatisation a pris une dimension mondiale lorsqu'elle a été portée par le FMI et la Banque mondiale dans le cadre de la mise en application de ce qu'il est convenu d'appeler « le consensus de Washington » avec le développement des programmes d'ajustements structurels. Concrètement, pour les pays occidentaux, la privatisation a touché tous les secteurs d'activité et il est maintenant considéré comme normal de confier au secteur privé toute activité ayant une valeur économique mesurable. Toutes les grandes entreprises d'État ont ainsi disparu des grands pays développés, sauf dans certains services publics, comme celui de la distribution de l'eau ou de l'électricité. Dans les pays en développement, la même philosophie est généralement acceptée, mais la faiblesse du secteur privé continue de faire de l'État un acteur économique direct majeur. L'exemple le plus évident est celui de la Chine. Bien qu'elle ait adopté une philosophie de coordination par le marché, la Chine continue d'avoir un secteur public dominant en 2010. C'est le cas de la plupart des pays dont le niveau de développement est moyen ou faible.

Privatisations et nationalisations sont les deux faces d'une même pièce. L'État a la responsabilité de l'équilibre social et économique de la société. Cet équilibre dépend souvent de la mise en place d'activités économiques ou sociales importantes. Il est alors possible d'imaginer que l'État puisse se comporter comme un grand metteur en scène et parfois devenir acteur. Il suscite les vocations privées pour que les activités considérées comme nécessaires soient entreprises dans des conditions socialement et politiquement acceptables par des acteurs autres que l'État, le secteur privé ou aujourd'hui aussi ce qui est communément appelé le tiers secteur, le secteur à but non lucratif. Lorsque le privé et les autres acteurs sociaux ne sont pas en mesure de réaliser ces activités, alors l'État est obligé de le faire lui-même. Ceci se produit notamment dans des industries naissantes ou mourantes (Sunrise ou Sunset Industries selon l'expression de Thurow, 1980). La multiplication des activités dans lesquelles l'État est potentiellement appelé à intervenir est telle qu'il est très important de considérer cette implication comme temporaire, le temps que des acteurs privés soient capables de prendre une activité en charge dans des conditions raisonnables. Ainsi, l'État est toujours en affaires soit par la nationalisation, soit par la création de nouvelles entreprises d'État. Il est aussi toujours en position de privatisation pour se libérer des activités qui ne nécessitent plus son intervention.

La privatisation et la nationalisation sont ainsi des activités qui seront toujours présentes dans les sociétés modernes, même si leur importance peut varier selon les époques.

Bibliographie

Barbe, A. et autres (1986). Dénationalisations : les leçons de l'étranger, Paris, Economica.

Hafsi, T. (1984). Entreprise publique et politique industrielle, Paris, McGraw-Hill.

Hafsi, T. et C. Demers (1987). Le changement radical dans les organisations complexes : le cas d'Hydro-Québec, Montréal, Gaëtan Morin.

Stoffaës, C. et J. Victorri (1977). Nationalisations, Paris, Flammarion.

Thurow, L. (1980). The Zero-Sum Society, New York, Basic Books.

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Reproduction
La reproduction totale ou partielle des définitions du Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique est autorisée, à condition d'en indiquer la source.

Pour citer
Hafsi, T. (2012). « Privatisation et nationalisation », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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