Charte de services aux citoyens (Public Service Charter)

David Clark, Professeur retraité
Winchester Business School

clarkfam@talktalk.net

Au cours des dernières années, les chartes de services aux citoyens ont occupé une place de choix dans l'outillage des réformes de la gestion publique de nombreux pays. Bien que les raisons motivant la constitution d'une charte de services aux citoyens varient d'un pays à l'autre[1], l'idée centrale unissant les politiques de chartes reste essentiellement la même : l'amélioration de la réactivité et de la transparence des services aux citoyens par l'établissement de normes de prestation de services auxquelles les usagers devraient légitimement s'attendre. Un autre point commun réside dans le format employé, celui de la charte administrative. Malgré la résonance du terme utilisé qui rappelle certaines chartes constitutionnelles telle la Charte canadienne des droits et libertés, une charte de services aux citoyens ne confère pas d'office des droits applicables devant les
tribunaux[2].

Avec les risques de confusion que cela peut comporter, le terme charte est également utilisé dans la nomenclature des divers codes, règles et directives conçus pour régir l'éthique du comportement des fonctionnaires. Bien que certaines de ces chartes soient dotées de pouvoirs conférés par la loi, d'autres ne sont que des codes de principes de services aux citoyens, adoptés par la fonction publique elle-même en tant que déclaration d'engagement envers le public, envers le gouvernement en place ou envers la fonction publique professionnelle (Kernaghan, 2006, p. 108).

Le cœur de cette définition traite de l'innovante Charte du citoyen britannique, dont la première version a été élaborée en 1991. Au cœur de cette initiative réside la notion de contrat, ou de « pseudo-contrat » (Harlow et Rawlings, 1997, p. 211), paraphé entre le contribuable et le consommateur de services publics d'un côté et ceux qui fournissent ces services et qui subissent des pressions pour les améliorer de l'autre. Le choix des mots n'est pas sans conséquence et la Charte du citoyen est appelée ainsi parce que c'est l'individu, le contribuable et le consommateur, qui se trouve habilité par la charte. La charte fait bien peu mention de la volonté collective des usagers des services ou de leur participation à une communauté politique (Deakin, 1994). Cette situation a entraîné des critiques selon lesquelles la Charte du citoyen est à sens unique et ne requiert aucune réciprocité de la part des usagers en termes d'obligations sociales ou civiques (Drewry, 2005, p. 9).

L'octroi de droits non justiciables aux clients des services publics devrait assurer une amélioration des services : le droit à l'information, en particulier sous la forme de tableaux de comparaison des performances, le droit de porter plainte et de s'assurer d'un recours et, lorsque cela est possible, le droit au choix du prestataire de services. Ces droits engendrent de nouvelles responsabilités pour les gestionnaires des services aux citoyens qui doivent établir des normes, des rapports de performance et s'assurer que sont mises en place des procédures appropriées en cas de plaintes. Ces nouveaux droits et ces nouvelles responsabilités sont précisés dans la Charte du citoyen, sous la forme de six principes de services aux citoyens auxquels les autorités gouvernementales doivent se plier. Ces principes sont :

  • les normes : établissement, suivi et publication de normes explicites pour les services dont les usagers sont raisonnablement en droit de s'attendre. Publication des résultats de la performance en lien avec les normes établies;
  • l'information et l'ouverture : information complète et précise sur le fonctionnement des services aux citoyens, sur leurs coûts, sur la qualité de leur performance et sur l'identité de ceux qui en sont responsables;
  • le choix et la consultation : le secteur public devrait permettre des choix lorsque cela est possible. L'opinion des usagers des services et leurs priorités d'amélioration devraient être prises en compte dans l'établissement des normes;
  • la courtoisie et les normes : un service courtois et efficace de la part des fonctionnaires qui portent en temps normal un insigne nominatif d'identification. Les services devraient être disponibles de façon équitable à tous ceux qui y ont droit et être gérés de manière à répondre à leurs attentes;
  • les mécanismes de recours : des procédures de plainte connues des usagers et faciles d'accès doivent permettre une révision indépendante des cas lorsque possible;
  • l'optimisation des ressources : une prestation efficace et économique des services aux citoyens dans le contexte financier qu'un pays peut se permettre. Validation indépendante de la performance en lien avec les normes établies (Charte du citoyen, premier rapport, 1992 – traduction libre).

En 1997, la Charte du citoyen avait engendré 41 chartes nationales regroupant les principaux services aux citoyens (par exemple la Charte du patient, la Charte des tribunaux et la Charte du contribuable); 10 000 chartes locales rédigées par des organismes locaux en consultation avec les usagers des services (par exemple les cliniques médicales, les hôpitaux publics autonomes, les écoles, les services des autorités locales et les centres locaux d'emploi); une remise de prix annuelle pour les chartes ayant obtenu les meilleures notes de suivi et proposant la reconnaissance de l'excellence et de l'innovation dans le service aux citoyens; la publication régulière de palmarès, en particulier dans les domaines de l'éducation et des services de santé.

Au moment de prendre les rênes du gouvernement, l'équipe de Tony Blair a rebaptisé la Charte du citoyen pour l'appeler Le Service d'abord (Service First, 1998), mais peu de temps après, les principes de la charte ont été absorbés dans la vaste opération de modernisation de la gestion publique, entreprise par les nouveaux travaillistes, au sein de laquelle le principe fondamental de l'amélioration des services demeurait central. Le charterism, tel que nommé à l'époque, avait en quelque sorte été exploité au maximum, alors que la façon de penser associée aux chartes s'était étendue aux échelons inférieurs, au-delà des ministères centraux, jusqu'à influencer complètement la prestation des services aux citoyens (Drewry, 2005).

En mettant de côté les difficultés techniques de l'évaluation et de la quantification, il semble juste de conclure que le charterism britannique est parvenu à augmenter la conscience critique des citoyens quant à la qualité des services publics et à faire pression sur les gestionnaires pour qu'ils améliorent la prestation de leurs services tout en ayant à leur disposition les mêmes ressources, voire des ressources diminuées. La Charte du citoyen a été, de plusieurs manières, tant une charte des gestionnaires qu'une charte des usagers. Au sein de nombreux services aux citoyens, la définition des normes de services a ajouté un levier d'influence supplémentaire dont disposent les cadres supérieurs dans leurs relations avec les professionnels et leurs collègues des rangs inférieurs (Pollitt, 1994, p. 11)[3]. De la même manière, de mauvaises performances dans les palmarès (listes d'attente, résultats d'examens) pourraient avoir des conséquences sur le plan de l'attribution des postes et de la rémunération au rendement des cadres supérieurs d'un hôpital ou des directeurs d'école et d'université.

Étant donné son manque de droits à titre exécutoire, il est étonnant de constater l'opinion qu'expriment certains membres de la communauté scientifique du domaine du droit selon laquelle la Charte du citoyen pourrait apporter une contribution significative à la justice administrative, par l'instauration de normes de saine gestion et la mise sur pied d'un système de règlement des plaintes permettant aux organisations de services publics d'apprendre à mieux servir le public et de procéder à des améliorations systémiques dans l'offre de services (Page, 1999). Le charterism dans les services aux citoyens ne devrait normalement pas avoir le même type d'incidence dans des pays dotés d'une forte tradition de protection légale du citoyen contre l'administration où la jurisprudence des tribunaux administratifs risque d'avoir permis aux réformes de la gestion du secteur public de se prémunir contre une forte orientation « consommateur-populiste » (Clark, 2000).

Bibliographie

Clark, D. (2000). « Citizens, Charters and Public Service in Britain and France », Government and Opposition, vol. 35, no 2, p. 152-169.

Deakin, N. (1994). « Accentuating the Apostrophe: The Citizen's Charter », Policy Studies, vol. 15, no 3, p. 48-58.

Drewry, G. (2005). « Citizen's Charters: Service Quality Chameleons », Public Management Review, vol. 7, no 3, p. 321-340.

Harlow, C. et R. Rawlings (1997). Law and Administration, London, Butterworths.

Kernaghan, K. (2006). Encouraging “Rightdoing” and Discouraging Wrongdoing: A Public Service Charter and Disclosure Legislation, http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/Collection/GomeryII/ResearchStudies2/
CISPAA_Vol2_3.pdf
(page consultée en février 2010).

Page, A. (1999). « The Citizen's Charter and Administrative Justice », dans M. Harris et M. Partington (dir.), Administrative Justice in the 21st Century, Oxford, Hart.

Pollitt, C. (1994). « The Citizen's Charter: A Preliminary Analysis », Public Money and Management, vol. 14, no 2, p. 9-14.

United Kingdom Government (1991). The Citizen's Charter: Raising the Standard, Stationery Office Books, www.publications.parliament.uk/pa/cm200708/cmselect/cmpubadm/411/41105.htm (page consultée en février 2010).


[1] Dans certains cas, le principal objectif semble avoir été la justification plutôt que l'amélioration de la performance gouvernementale, alors que dans d'autres situations, une des principales forces motrices a été la pression d'organismes d'aide au développement. La Charte des services publics de France (1992), par exemple, a été décrite comme une déclaration d'intention du gouvernement français en rapport à ses objectifs de réforme, une exhortation visant les cadres supérieurs de la fonction publique à améliorer leurs relations avec les citoyens. Selon une évaluation du Conseil de l'Europe, la charte demeure largement inconnue du public, et même, des fonctionnaires eux-mêmes (Drewry, 2005).

[2] Cependant, des exigences de la loi pourraient découler de la charte. Dans le cas de la Charte du citoyen du Royaume-Uni, par exemple, la loi du gouvernement local de 1992 contient des provisions de la Charte du citoyen qui confèrent à un inspectorat nommé par le gouvernement – l'Audit Commission – les pouvoirs nécessaires pour ordonner aux autorités locales de recueillir et de publier l'information ayant trait à leurs normes de performance et de produire des tableaux comparatifs de performance. Certaines chartes pourraient forcer les organisations prestataires de services aux citoyens à offrir des compensations financières aux usagers lorsque certains engagements de performance n'ont pas été respectés.

[3] Comme le montre Drewry (2005, p. 328), la part prépondérante de l'effet des chartes retombe sur les épaules de fonctionnaires de première ligne (par exemple, le personnel des gares ferroviaires, les enseignants, les réceptionnistes des hôpitaux, les agents des services d'accueil des bureaux de l'impôt ou des services sociaux), qui doivent supporter – sans récompenses additionnelles et souvent sans formation ou presque – la plus grande part des plaintes et des critiques des consommateurs « habilités ».

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Reproduction
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Pour citer
Clark, D. (2012). « Charte de services aux citoyens », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)