Programme (Program)

Moktar Lamari, Professeur et Directeur du Centre
d'expertise et de recherche en évaluation
École nationale d'administration publique

moktar.lamari@enap.ca

La notion de programme occupe une place de choix dans la rhétorique couramment utilisée dans l'analyse des politiques publiques et l'évaluation des interventions gouvernementales. Cette notion ne date pas d'aujourd'hui, et elle a évolué, au gré des circonstances et des institutions, pour couvrir des entités et des réalités pas nécessairement homogènes. Il faut remonter à la civilisation grecque pour retracer l'étymologie du mot programme et sa proche filiation avec le mot grec programma. Celui-ci fait référence à un écrit officiel, avec pro pour insister sur l'aspect officiel et gramma pour signifier un écrit. Rare, avant le début du XIXe siècle, la notion de programme s'est imposée progressivement comme un néologisme clé, et ce, durant les trois dernières décennies. Cette notion renvoie généralement à une intervention organisée comportant plusieurs éléments articulés, visant des finalités précises et mobilisant des ressources appropriées pour agir dans un contexte donné (institutionnel, social, temporel, géographique, etc.). Avec la modernisation des administrations publiques et la volonté d'axer le management public sur les résultats, la notion de programme a été mise de l'avant dans les réformes budgétaires, dans le domaine de l'évaluation de programme et dans les politiques publiques.

Les réformes budgétaires initiées durant les années 1970 par les administrations publiques de la plupart des pays occidentaux se sont appuyées sur l'approche connue sous le sigle de PPB : planification (planning), programmation (programming) et budget (budgeting). Une telle approche vise à optimiser les décisions budgétaires dans le cadre d'un système donné et où le programme devient un levier crucial pour rationaliser la décision budgétaire. Le programme budgétaire est défini comme un cadre arrimant des objectifs précis (outputs), des besoins spécifiques, des moyens donnés (inputs) et des impacts escomptés (outcomes). Dans cette logique, les programmes font partie d'une pyramide constituée de trois niveaux de structures interdépendantes qui régissent ensemble l'action gouvernementale :

  • D'abord, la superstructure constitue un niveau stratégique portant sur les missions, les domaines et les secteurs d'intervention publique (économique, social, éducation/culture, gouvernance, etc.);
  • Ensuite, la structure intervient comme palier organisationnel balisé par des programmes et des éléments de programmes en lien avec les missions, les domaines et les secteurs d'intervention identifiés dans la superstructure;
  • Enfin, l'infrastructure a trait au niveau opérationnel des programmes, où ces derniers se déclinent en activités, en projets et en opérations mis en œuvre sur le terrain de l'action gouvernementale.

Le champ de l'évaluation de programme a aussi fortement contribué à façonner et à nuancer la notion de programme. Évaluer des programmes consiste à appliquer une démarche évaluative systématique et fondée sur des techniques de production de nouvelles connaissances en vue d'apprécier et d'améliorer la conception, la mise en œuvre, l'efficacité et l'efficience des programmes (Chen, 2005). À cet égard, le programme est défini comme un cadre d'intervention cohérent, explicite et structuré par des objectifs, assorti d'activités et outillé de ressources (humaines, matérielles, informationnelles et financières, etc.). La finalité étant d'offrir des produits ou des services visant à résoudre un problème et à satisfaire les besoins d'une population déterminée dans un contexte bien situé dans le temps et dans l'espace. Pour réussir et se perpétuer, un programme devient une entité vivante et dynamique qui doit relever deux défis essentiels (Chen, 2005, p. 3). D'une part, à l'interne, le programme doit pouvoir transformer efficacement des intrants en extrants et en impacts souhaités, et ce, pour changer une situation ciblée ou résoudre un problème. D'autre part, à l'externe, il doit composer continuellement avec un environnement changeant dans le but d'obtenir les ressources et de mobiliser l'appui nécessaire à son fonctionnement et à sa survie. Parce que les programmes sont soumis à leur environnement externe, chacun d'eux est un système ouvert articulé autour des cinq éléments suivants : (1) les intrants (ressources); (2) le processus de transformations (activités productives); (3) les résultats ou extrants; (4) les rétroactions entre intrants et extrants; (5) un environnement balisé par des normes sociales, des structures politiques et économiques, une législation, des groupes de pression, des préférences sociales, etc.

Figure 1 : Modèle logique d'un programme

Source : Chen, 2005.

En analyse des politiques publiques, les notions de projet et de politique sont parfois, à tort, employées comme des synonymes de programme. Or, dans ce contexte, le projet se définit comme un cadre d'action qui se propose d'atteindre des objectifs et d'accomplir des interventions (Godin, 2004, p. 1058). En gestion de projet, il est défini comme un processus unique de transformation de ressources ayant pour but de réaliser d'une façon ponctuelle, et non répétitive, un extrant spécifique qui répond à un ou à des objectifs précis, à l'intérieur de contraintes budgétaires, matérielles, humaines et temporelles (O'Shaughnessy, 1992). Le programme se distingue du projet par le caractère plus étendu de son domaine d'application, par le caractère hétérogène de ses parties prenantes et par une planification qui doit tenir compte de plusieurs exigences organisationnelles spécifiques aux administrations. Généralement, un programme peut être constitué de plusieurs projets et activités. En revanche, une politique publique peut comporter divers programmes. Une politique publique n'est rien d'autre qu'un énoncé général, ou énoncé de principes, indiquant la ligne de conduite adoptée par un organisme donné et dans un secteur précis pour baliser l'action collective (ce qui est à faire ou à ne pas faire). C'est un concept hétérogène, dans la mesure où ses composants s'apparentent, les uns aux fins, les autres aux moyens (Berretta, 1975). Le terme politique est abusivement employé pour désigner des programmes (De Villers, 2009). Les cinq composants d'un système ouvert (voir schéma précédent) sont également identifiables dans une politique donnée (Chen, 2005), et c'est ce qui rapproche la notion de politique de celle de programme. L'univers des politiques publiques est souvent plus large que celui des programmes. L'expression plus usitée de politiques publiques fait référence à des activités orientées vers la solution de problèmes publics dans un environnement donné et menées par des acteurs politiques dont les relations de pouvoir sont structurées, le tout évoluant dans le temps (Lemieux, 2002).

Bibliographie

Berretta, V. (1975). Politique et stratégie de l'entreprise : dynamique externe de l'entreprise, Paris, Éditions d'Organisation.

Chen, H. T. (2005). Practical Program Evaluation: Assessing and Improving Planning, Implantation and
Effectiveness
, Thousand Oaks, Sage Publications.

De Villers, M-É. (2009). Multidictionnaire de la langue française, 5e éd., Montréal, Québec Amérique.

Godin, C. (2004). Dictionnaire de philosophie, Paris, Fayard/Éditions du temps.

Lemieux, V. (2002). L'Étude des politiques publiques : les acteurs et leurs pouvoirs, Québec, Presses de
l'Université Laval.

O'Shaughnessy, W. (1992). La faisabilité de projet, Trois-Rivières, Les Éditions SMG.

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Reproduction
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Pour citer
Lamari, M. (2012). « Programme », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)