Marchés publics (Public Procurement)

Paul-Émile Arsenault, Administrateur invité
École nationale d'administration publique

paul-emile.arsenault@enap.ca

L'expression marchés publics désigne le processus institué par les pouvoirs publics pour faire effectuer des travaux ou se procurer les marchandises et les services nécessaires à l'acquittement de leurs fonctions, le tout dans le cadre d'un contrat passé avec une entreprise privée pour en fixer les modalités financières et autres.

Le cycle de passation des marchés publics comporte une succession d'opérations qui se résume en trois grandes phases dont une première, située en amont de l'appel d'offres, pour évaluer les besoins, préparer le cahier des charges et choisir la procédure d'adjudication. La deuxième phase est constituée des opérations liées à l'appel d'offres, à l'évaluation des soumissions et à l'attribution du contrat, alors que la troisième comprend la gestion des contrats, la commande et le paiement (OCDE, 2008).

De tout temps, les gouvernements ont dû se procurer des biens et des services pour opérer, ne serait-ce que pour assurer leur défense ou réaliser les travaux publics nécessaires pour la vie en société. Ces fonctions se sont cependant transformées avec le temps, en raison notamment de l'expansion du rôle de l'État, de la libéralisation des échanges et de l'avènement des technologies de l'information et de la communication.

L'évolution observée en matière d'achats et de travaux publics peut être illustrée à l'aide de l'exemple canadien. Dès 1846, un ministère des Travaux publics a été créé au palier fédéral pour gérer les immeubles publics et construire de grandes infrastructures telles que les voies navigables, les lignes télégraphiques et les voies ferrées (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1986). Pendant longtemps, seuls les achats effectués pour le compte de la Défense nationale étaient régis par une loi, la fonction d'achat dans les ministères et les organismes civils demeurant dispersée et fragmentée. Ce n'est qu'en 1954 que des règlements ont été établis pour dicter, à l'ensemble des ministères et des organismes, les règles à suivre pour demander des soumissions. Une commission d'enquête chargée de faire état de l'organisation du gouvernement fédéral, au début des années 1960, a révélé de nombreuses lacunes en matière d'approvisionnement et a recommandé de mettre en place un organisme central pour simplifier les procédures et profiter de l'achat en masse (Canada, 1962).

C'est d'abord dans les traités internationaux sur le commerce que la notion de marchés publics s'est répandue. L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT selon l'acronyme anglais), négocié initialement en 1947, stipule que « l'acquisition par des organes gouvernementaux de produits achetés pour les besoins des pouvoirs publics » est expressément exclue de l'application des accords multilatéraux sur le commerce (OMC, 2010). Il faut attendre le début des années 1970 pour que l'Union européenne adopte ses premières directives portant sur les procédures de marchés publics entre pays (Commission européenne, 1996). C'est en 1979, à la suite des négociations commerciales menées dans le cadre du Tokyo Round, qu'a été signé un premier accord international sur les marchés publics. Le champ d'application de cet accord, qui couvrait uniquement le commerce des marchandises et les entités des gouvernements centraux, a été étendu aux gouvernements sous-centraux et aux secteurs des services et de la construction avec l'Accord sur les marchés publics (AMP) signé à Marrakech en 1994, soit en même temps qu'était créée l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les négociations menées sur la scène internationale pour réduire les barrières commerciales, que ce soit dans le cadre de l'OMC, de l'Union européenne ou d'autres ententes comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ont amené de nombreux pays à revoir leur réglementation des marchés publics. C'est le cas notamment de la France où le Code des marchés publics a été révisé à maintes reprises. C'est aussi le cas du gouvernement canadien, dont la politique sur les marchés publics a été revue pour se conformer aux ententes internationales (AMP-OMC, ALENA et autres accords bilatéraux) ainsi qu'à l'Accord sur le commerce intérieur (ACI) auquel adhère l'ensemble des provinces et des territoires (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012).

Les technologies de l'information et de la communication sont devenues, au regard du processus de passation des marchés, un instrument essentiel pour stimuler la concurrence (Commission des communautés européennes, 1998). De plus en plus d'administrations publiques disposent d'un portail Internet pour faciliter l'accès aux règles et aux procédures régissant les marchés publics. En outre, les procédures électroniques permettent aux soumissionnaires et aux agents publics de discuter entre eux en temps réel, ce qui accentue la tendance à la dématérialisation des marchés publics.

Selon les données disponibles, les achats effectués par les pouvoirs publics représentent en moyenne 15 % du produit intérieur brut dans le monde. La passation des marchés publics soulève donc des enjeux majeurs sur le plan de la gouvernance des États. Le premier de ces enjeux est budgétaire, puisqu'une saine gestion des fonds publics commande d'obtenir le meilleur rapport qualité-prix pour tous les achats effectués.

Le deuxième enjeu est économique, car les marchés publics confèrent aux gouvernements un levier d'intervention pour obtenir des investissements ou créer des emplois sur leur territoire. L'usage de ce levier est cependant fortement balisé par les règles de commerce international et la vive concurrence que suscitent les marchés publics, tant au niveau international qu'au niveau national ou local. Hormis pour des situations très particulières où le nombre de fournisseurs est trop restreint, c'est le jeu de la libre concurrence qui est considéré comme le plus en mesure de favoriser la prospérité économique.

Un troisième enjeu tient à l'intégrité des marchés publics. L'étroite interaction des intervenants publics et privés combinée au volume des transactions font des marchés publics l'une des activités les plus exposées au risque de corruption (OCDE, 2007). La corruption empêche la concurrence et fait payer aux administrations un prix artificiellement élevé pour les biens et les services qui leur sont fournis. Il est à noter, à cet égard, que l'OMC, en plus de veiller à l'application de l'AMP, mène des travaux pour favoriser la transparence des marchés publics non seulement dans les pays membres, mais aussi dans les États émergents ou en développement (OMC, 2010).

D'autres organisations internationales comme la Banque mondiale et l'OCDE font aussi la promotion des bonnes pratiques pour renforcer l'intégrité des marchés publics (OCDE/CAD, 2006). Essentiellement, ces bonnes pratiques stipulent que seul un processus d'achat basé sur la concurrence et la transparence permet de réduire le risque de corruption, d'éviter le gaspillage et de garantir aux fournisseurs des conditions équitables à toutes les étapes du cycle de passation des marchés publics (OCDE, 2007).

Bibliographie

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Canada (1962). Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (Glassco, J. Grant. Prés.), Imprimerie de la Reine.

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Reproduction
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Pour citer
Arsenault, P.-É. (2012). « Marchés publics », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, (en ligne), www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)