Rationalisation des effectifs (Downsizing)

Denis Proulx, Professeur
École nationale d'administration publique

denis.proulx@enap.ca

La rationalisation des effectifs d'une organisation vise à rendre cette dernière plus efficace et plus efficiente de manière à lui permettre de mieux s'adapter à son environnement. Les décisions qui sont alors prises ont pour objectif de compter sur un nombre optimal d'employés, sur des postes et des compétences professionnelles directement liés aux besoins organisationnels.

Cependant, la rationalisation des effectifs est souvent perçue comme une stratégie de réduction des coûts et non comme une approche d'accroissement de la valeur ajoutée pour l'organisation (Trudel, Saba et Guérin, 2005). Même si le phénomène a été observé dès le début des années 1980, la rationalisation des effectifs s'est amplifiée au cours des années 1990. Elle n'est pas l'apanage des entreprises en difficulté qui tentent de survivre, puisque les entreprises performantes, celles qui affichent un bilan positif de leurs bénéfices, cherchent malgré tout à rationaliser leur organisation. C'est désormais un acte de gestion courant s'associant à des progrès techniques, organisationnels ou de productivité et non plus seulement une action liée à des difficultés financières. C'est en ce sens que Nicolson, Audia et Pillutla (2005), tout comme Angwin (2005), affirment que la réduction des effectifs est devenue, depuis le début des années 1980, une préoccupation centrale pour les organisations; les réductions de personnel étant perçues comme un signe d'efficacité et de succès. D'ailleurs, près des trois quarts des entreprises américaines et européennes (moyennes ou grandes) ont procédé à des diminutions d'effectifs et près des deux tiers de celles-ci l'ont fait plus d'une fois. Il est donc impossible de lier d'emblée la rationalisation, ou la réduction, des effectifs à un déclin organisationnel. Il s'agit plutôt d'une décision de gestion visant à améliorer l'organisation. Elle comprend à la fois une réduction du personnel et des réajustements qualitatifs au sein de l'organisation.

D'un point de vue théorique, le terme rationalisation des effectifs est imprécis; les mots rationalisation, restructuration, réingénierie sont souvent employés pour désigner les mêmes actions. Les discours sont multiples. Nadeau (1999) associe la rationalisation des effectifs au redimensionnement qu'elle définit comme une méthode d'organisation d'un processus de production selon des principes de gestion méthodique qui reposent sur l'étude scientifique des tâches en vue d'augmenter l'efficacité et l'efficience et de mieux utiliser le capital et le travail. Riopel et Croteau (2008) rappellent que la rationalisation a d'abord été lié au génie industriel et qu'elle visait l'amélioration des processus de production de façon rationnelle à partir de concepts scientifiques. Ils insistent cependant sur le fait qu'elle ne doit pas être confondue avec le redimensionnement qui, lui, amène une réduction du personnel. La différence tient, selon eux, à ce que la rationalisation est basée sur des principes de gestion méthodique, alors que le redimensionnement est lié à des causes économiques et financières.

Mahé de Boislandelle (1998) associe, pour sa part, les termes rationalisation, réingénierie et downsizing. Selon lui, en réduisant sa taille, une organisation cherche à améliorer sa performance organisationnelle, alors que la rationalisation entraîne une réduction de l'effectif et nuit à l'organisation du travail. C'est donc une recherche d'efficacité dissociée des crises financières de certaines organisations. La rationalisation consiste à considérer un processus de production sous un angle critique de façon à gagner en efficacité et en efficience. Il ajoute toutefois une dimension moins rationnelle quand il écrit que la rationalisation est la fourniture d'une explication logique à un choix ou à un comportement irrationnel, incohérent ou fortement discutable au départ.

Pour O'Connell (2005), la rationalisation des effectifs vise avant tout à accroître l'efficience en restructurant l'organisation. Le terme est ici synonyme de réduction d'effectifs, de réingénierie ou de restructuration. La rationalisation sous-entend la réduction de l'effectif non indispensable, l'arrêt des opérations non rentables et la maximisation de la viabilité à long terme.

De leur côté, Heery et Noon (2001) proposent un autre terme qui s'associe au concept de rationalisation des effectifs, il s'agit de la déstratification (delayering) qui fait référence au fait de réduire le nombre de niveaux hiérarchiques. L'organisation, devenant plus plate, entraîne une réelle prise de pouvoir par le bas en raison de la décentralisation, mais aux dépens des gestionnaires intermédiaires dont le nombre diminue au cours du processus. Pour ces auteurs, la réduction des niveaux hiérarchiques est un élément central de la rationalisation.

Angwin (2005) ajoute que la réduction des effectifs se fait essentiellement parmi les employés de bureau et les cadres. De 1987 à 1991, 85 % des firmes du Fortune 1000 avaient réduit leurs effectifs dont la moitié en 1990 seulement. La rationalisation des effectifs se pratique aussi au Japon, mais la tendance consiste plutôt à réaffecter les employés ailleurs dans l'organisation pour gagner en efficacité, et ce, contrairement à d'autres pays où les travailleurs sont débauchés.

Il est difficile de ne pas faire de parallèle entre la rationalisation et le fait de congédier ou de débaucher du personnel en dépit des mises en garde des nombreux auteurs cités plus haut. Ces discours reflètent les divergences de point de vue théorique sur la signification de la rationalisation des effectifs.

La rationalisation des effectifs, comme d'autres formes de transformations majeures, peut ébranler la cohésion organisationnelle. Les personnes qui restent en poste après ces changements importants, aussi appelées « les survivants » (terme emprunté au vocabulaire des camps de concentration nazis), est un sujet souvent abordé dans la littérature relative à la rationalisation des effectifs. Ces travaux s'intéressent aux symptômes dont souffrent les travailleurs qui ont vu leurs collègues perdre leur emploi. Trudel, Saba et Guérin (2005) et Ouimet (2005) en ont traité. Les premiers soutiennent que le succès des rationalisations dépend des attitudes et des comportements qu'adopteront les travailleurs. Le second, de son côté, met en lumière l'importance de la préparation des employés qui restent dans l'organisation.

Pour Komio (2005), la rationalisation des effectifs doit être planifiée longtemps à l'avance à l'intérieur des processus de planification des ressources humaines afin d'éviter d'en faire une solution rapide en raison des inconvénients qui l'accompagnent. Les résultats de la rationalisation des effectifs ne sont pas nécessairement positifs. Selon les études réalisées par Whetten et Cameron (1994), les effets négatifs recensés dans les effectifs à la suite de rationalisations sont, entre autres, d'entraîner une réduction de l'innovation, une destruction des réseaux informels, une hausse des conflits internes ou encore du sabotage. Sur le plan des individus, les chercheurs ont observé plus de cynisme et de scepticisme chez les travailleurs ainsi qu'une augmentation des épuisements professionnels (burnout).

Bibliographie

Angwin, D. (2005). « Strategic Management », dans J. McGee (dir.), The Blackwell Encyclopedia of Management, vol. 12, Malden, The Blackwell Publishing.

Heery, E. et M. Noon (2001). A Dictionary of Human Resource Management, Oxford, Oxford University Press.

Komio (2005). « Human Resource Management », dans S. Cartwright (dir.), The Blackwell Encyclopedia of Management, vol. 5, Malden, Blackwell Publishing.

Mahé de Boislandelle, H. (1998). Dictionnaire de gestion : vocabulaire, concepts et outils, Paris, Économica.

Nadeau, N. (1999). L'étude des pratiques visant la rétention du personnel de valeur à l'intérieur de grandes entreprises québécoises dans un contexte de rationalisation d'effectifs, Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, Montréal.

Nicholson, N., P. G. Audia et M. M. Pillutla (dir.) (2005). « Organizational Behavior », dans The Blackwell Encyclopedia of Management, vol. 11, Malden, Blackwell Publishing.

O'Connell. (2005). « International Management », dans J. McNett et autres (dir.), The Blackwell Encyclopedia of Management, vol. 6, Malden, Mass., Blackwell Publishing.

Ouimet, G. (2005). « Syndrome du survivant : réflexions sur l'atypie de ses manifestations / Survivor Syndrome: Reflections on its Atypical Appearances », Psychologie du travail et des organisations, vol. 11, no 4, p. 257-271.

Riopel, D. et C. Croteau (dir.) (2008). Dictionnaire illustré des activités de l'entreprise. Français – anglais, Paris, Presses internationales Polytechnique.

Trudel, J. M., T. Saba et G. Guérin (2005). « L'influence contrastée des pratiques de gestion des ressources humaines sur l'engagement organisationnel et la performance au travail », Revue internationale sur le travail et la société, vol. 3, no 1, p. 61-106.

Whetten, D. A. et K. S. Cameron (1994). « Organizational-Level Productivity Initiatives: the Case for Downsizing », dans D. H. Harris (dir.), Organizational Linkages: Understanding the Productivity Paradox, Washington D.C., National Academy Press, p. 262-288.

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Reproduction
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Pour citer
Proulx, D. (2012). « Rationalisation des effectifs », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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