Impartition (Outsourcing)

Pierre Bernier, Professeur associé
École nationale d'administration publique

pierre.bernier@enap.ca

Le terme impartition[1] désigne aujourd'hui un mode d'externalisation partielle ou complète des fonctions inhérentes au statut d'organisation structurée devant recourir à divers métiers pour réaliser sa mission. Régi par les préceptes de la micro-économie, ce fonctionnement consiste à se procurer, hors du cadre organisationnel, les biens et les services jugés intermédiaires ou instrumentaux par rapport aux finalités de l'entité, plutôt que d'en assurer directement la production au sein de la structure.

Apparue à la fin du siècle dernier dans les théories des sciences de la gestion des entreprises, la notion d'impartition recouvre les décisions et les pratiques visant à confier partiellement ou intégralement à un prestataire externe des activités, traditionnelles ou nouvelles, qui normalement pourraient être assumées à l'interne. Les matières de ce procédé recoupent aussi bien l'une des fonctions de base de la gestion (par exemple, une composante instrumentale ou la responsabilité totale de la gestion des ressources humaines, financières, informationnelles, matérielles) que des biens ou des activités intermédiaires nécessaires à la fabrication d'extrants, voire l'entièreté d'un produit ou service que les dirigeants pourraient décider de réaliser à l'interne, mais pour lequel ils optent de recourir à un producteur ou un dispensateur externe.

Dans un tel cadre opérationnel, le donneur d'ouvrage conserve évidemment la maîtrise d'œuvre, mais une entité juridiquement séparée de la structure devient l'opératrice. Les relations entre les protagonistes sont régies par un cadre conventionnel à fin déterminée (accords interentreprises, contrats de sous-traitance, concessions de franchise, etc.) contenant cahier de charges, devis ou plans détaillés (architecturaux ou opérationnels) conçus par le donneur d'ordre, souvent ceux utilisés antérieurement à l'intérieur de l'organisation pour satisfaire les exigences de la tâche ou les caractéristiques du résultat recherché.

Les organisations relevant du droit privé recourent aujourd'hui en priorité à ce type de partenariat pour les tâches administratives obligatoires jugées à faible rendement : administration de la paie et des avantages sociaux, entretien des technologies de l'information et des communications, comptabilité courante, questions logistiques récurrentes. La gestion de ces activités essentielles, mais estimées répétitives, souvent lourdes parce que proportionnellement à forte main-d'œuvre, et potentiellement onéreuses quant à l'intégration des progrès des métiers spécialisés qu'elles exigent, n'a jamais été considérée comme un atout pour assurer le succès financier et la compétitivité. Généralement amorcée par l'impartition de segments de ces fonctions de base, la logique inhérente à cette façon de faire incite progressivement à la mise en sous-traitance des processus globaux d'affaires qui y sont liés.

En relativement peu de temps, ce procédé est devenu un levier de gestion stratégique (et de libération) pour beaucoup de petites et moyennes entreprises. Considérant de bonne méthode la réduction de leur structure aux métiers essentiels, beaucoup de sociétés voient dans la pratique de ce type d'impartition une condition obligée préalable à toute démarche d'expansion rationnelle.

En parallèle, la grande entreprise a développé une application du concept d'impartition qui focalise sur la chaîne de réalisation des composantes centrales de l'activité corporative. Leurs vastes et complexes structures de production, de distribution, voire l'organisation des activités de transaction avec la clientèle finale et des services après-vente ont été des terrains d'expérimentations diverses. Dans un contexte de mondialisation des économies de marché et soutenu en cela par les innovations instrumentales issues de la révolution technologique d'information et de communication, s'ajoute fréquemment une dimension de délocalisation géographique, dont les résultats réels et les conditions de leur avenir commencent à peine à être pleinement mesurés.

Se révélant une solution jugée profitable aux stratégies coûteuses d'intégration verticale, totale ou par spécialités, auxquelles les entreprises de cette taille s'adonnaient depuis l'après-guerre pour atteindre leur pleine maturité, la sous-traitance incorporée aux processus spécialisés de la société s'est imposée rapidement grâce à ses possibilités de gain d'efficience et, en fin de compte, de plus value qualitative. Un véritable tournant a été franchi au début des années 1990 lorsque la société IBM a imparti des usines[2]. Il s'agissait là d'une nette rupture avec la pratique orthodoxe, car les hautes directions des entreprises pouvaient dorénavant envisager d'impartir ce qui était historiquement considéré comme « l'objet central du métier corporatif » en conjugaison avec une délocalisation géographique des installations et des activités.

Principaux avantages recherchés

Le bilan des expériences d'externalisation par la sous-traitance a démontré que la société délestée de la sorte, des aspects de la gestion des tâches instrumentales ou subordonnées au statut corporatif (sous-traitance dite de spécialité ou d'économie[3]), améliore généralement à court terme les conditions de son fonctionnement global et parfois de son rendement.

L'entreprise peut alors plus facilement se concentrer sur ses finalités et compétences distinctives. L'effet du délestage procuré par l'impartition crée une situation qui permet d'envisager des restructurations internes opportunes autour de la sphère d'activité première. De plus, des ressources peuvent finalement être consacrées à des activités qui sont estimées avoir le potentiel d'accroître la réflexion stratégique, l'innovation et, conséquemment, la flexibilité, le bon fonctionnement et un meilleur contrôle de qualité des rouages sur lesquels peut désormais se concentrer l'entreprise.

Les principaux inconvénients constatés

Paradoxalement, la distanciation recherchée par ce paradigme de gestion constitue le premier inconvénient. L'impartition pratiquée à un degré considérable touche les fonctions piliers de l'organisation et est souvent ressentie comme la perte d'acuité des informations névralgiques véhiculées aux divers paliers de la structure. Et de ce fait, elle peut être perçue comme une privation de moyens de détection immédiate et d'interaction rapide pour contrer les dynamiques fâcheuses ou à potentiel d'impacts négatifs qui peuvent nuire à l'organisation.

En effet, seul l'exercice direct de la responsabilité transactionnelle permet de saisir le sens et les potentialités de signaux diffus ou de faible intensité émis par des clientèles tant internes qu'externes. Laissées sans réactions finement curatives, ces alertes ratées peuvent conduire à des situations déstabilisantes qui normalement, dans un cadre de gestion en régie directe, auraient pu être plus efficacement contenues.

En corollaire, l'entreprise n'est plus incitée à acquérir des compétences propres à l'évolution des problématiques en ces domaines et a tendance à développer une dépendance à l'égard de la lecture et des interprétations faites par les prestataires externes. Rapidement, elle risque de ne plus posséder plus les aptitudes pour déterminer adéquatement ses besoins ou pour évaluer la capacité d'un fournisseur de services à les combler. Une organisation qui décide de reprendre une activité impartie doit s'attendre à un certain délai (années) avant de retrouver un niveau de performance acceptable[4].

L'impartition n'est ni sans risque ni une recette miracle permettant de réduire les coûts à moindre effort. Elle s'avère plutôt une formule qui exige une démarche rigoureuse. La plupart des experts (Pesqueux et Bounafous-Boucher, 2006; Le Ray, 2010) recommandent d'ailleurs aux organisations désireuses d'utiliser ce mode axé sur la structuration des métiers de suivre une démarche qui repose sur deux étapes.

Étape I

  • Distinguer, et définir, les activités qui doivent nécessairement s'effectuer à l'interne de celles qui peuvent ou doivent se dérouler à l'extérieur de la structure organisationnelle;
  • Mettre en place un processus d'appel d'offres;
  • Comparer les différentes offres de services reçues.

Une fois l'organisation convaincue du bien-fondé de la démarche, qui résulte d'une analyse pointue des activités conduites et des métiers qu'elles exigent, un dossier comparant le modèle de fonctionnement à celui désiré doit venir justifier la décision économiquement. Cela oblige à dresser une cartographie globale des processus, à bien connaître et, surtout, à mieux mesurer les opérations dans l'état de statu quo, ainsi que tous les processus d'affaires connexes qui pourraient être touchés lors d'une éventuelle impartition. 

Étape II

  • Sélectionner le sous-traitant;
  • Négocier les contrats et les prix;
  • Gérer la transition des activités;
  • Maintenir la relation appropriée maître d'œuvre – maître d'ouvrage.

Les solutions offertes sur le marché en expansion de la sous-traitance sont généralement nombreuses. Celle finalement retenue dépendra de l'importance stratégique de la fonction par l'entité qui impartit l'autorité, de sa complexité ainsi que de la nature de la relation souhaitée avec l'opérateur. Dans cette perspective, une attention particulière doit être portée à l'aspect contractuel afin d'assurer une relation saine et efficace dans la durée.

Tout contrat doit minimalement inclure les niveaux de service attendus, les mesures de performance ainsi que les responsabilités de chacun et préciser les modes et la fréquence des redditions de comptes. L'impartition n'exige pas qu'un effort ponctuel. Une fois en place, il s'agit de maintenir la relation, de savoir gérer la ou les fonctions à distance en faisant appel à des compétences intra-organisationnelles adaptées : si le « faire » a ses métiers, le « faire faire » a engendré le sien qui exige la maîtrise de compétences spécifiques.

Des conditions plus complexes pour la pratique de l'impartition dans le secteur public

Dans le secteur public, l'impartition peut également être envisagée à une échelle appropriée selon les secteurs ou les types d'organisation. Par contre, les conditions optimales à réunir sont naturellement plus complexes à réaliser, comme cela a d'ailleurs toujours été la situation lors d'emprunts de concepts ou de pratiques innovantes jugées performantes dans l'économie de marché.

Les principes plus exigeants qui encadrent la gestion publique et ses extrants (gamme des droits et devoirs des citoyens concernés, garantie de fiabilité et prévisibilité inconditionnelle du fonctionnement et des produits publics, ouverture et transparence, responsabilité et imputabilité des dirigeants politiques et administratifs dans un cadre public) commandent des normes obligatoires de gestion tant pour les fonctions internes de base des organisations publiques que pour les processus de production et de prestation des biens et services publics aux citoyens qui y ont droit.

Découle de ces impératifs qui distinguent l'action publique dans les sociétés démocratiques modernes, l'impossibilité, tant pour des « opérateurs » postulants mal aguerris à l'éthique du service public que pour des administrateurs publics insuffisamment rompus aux techniques de la sous-traitance partielle, de succomber paresseusement à la tentation d'un copier/coller réducteur, et ce, malgré les pressions récurrentes que déploient périodiquement divers tenants d'idéologies affairistes de courte vue.

Bibliographie

Barthelémy, J. (2000). « Le métier au cœur de l'externalisation », L'Expansion Management Review, n° 96, p. 91-98.

Bernier, P. (2004). « Le partenariat public-privé : un nouvel outil de la gestion publique à apprivoiser », dans M. Venne (dir.), L'annuaire du Québec 2005, Montréal, Fides, p. 480-486.

Emery, C. (2006). Les contrats de partenariat, Encyclopédie Dalloz, Rép. coll. loc., vol. 3, chapitre n° 3210.

Garr, D. (2001). « Inside Outsourcing », Fortune, vol. 143, n° 1, p. 85-92.

Le Ray, J. (2010). Gérer les risques, Paris, AFNOR.

Le Robert (1993). Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert.

Pesqueux, Y. et M. Bounafous-Boucher (2006). Décider avec les parties prenantes, Paris, La Découverte.

Poitevin, M. (1999). Impartition : fondements et analyses, Saint-Nicolas, Presses de l'Université Laval.


[1] Le Robert historique (1993) précise que le mot impartition avait à l'origine le sens d'« action d'accorder une grâce ».

[2] À cette époque, l'entreprise traversait une grave crise et jugeait que la rapidité des évolutions technologiques ne lui permettait pas d'amortir assez rapidement les investissements dans ses sites de production. Ainsi, dix ans plus tard, une douzaine de sociétés autonomes réparties dans le monde assemblaient sous convention les ordinateurs IBM.

[3] Quand l'entreprise sait que les coûts de production de ses services de soutien sont plus élevés que ceux demandés par des opérateurs externes (locaux ou étrangers) aptes à garantir un résultat de qualité au moins équivalente.

[4] Pour Bernier (2004), la durée dépend généralement du nombre d'années depuis l'impartition de l'activité, de la nature et de l'état des implantations technologiques structurantes occasionnés par le partenariat et, surtout, des compétences encore disponibles à l'interne pour gérer directement l'activité reprise.

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Reproduction
La reproduction totale ou partielle des définitions du Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique est autorisée, à condition d'en indiquer la source.

Pour citer
Bernier, P. (2012). « Impartition », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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