Politique budgétaire (Fiscal Policy)

Pierre Cliche, Professeur invité
École nationale d'administration publique

pierre.cliche@enap.ca

La politique budgétaire désigne l'ensemble des mesures qu'un gouvernement peut prendre et qui ont des conséquences sur le niveau et la composition de ses recettes et de ses dépenses.

Elle englobe la politique de dépenses et la politique fiscale tout en tenant compte des soldes budgétaires. Pour bien distinguer la politique de dépenses de la politique fiscale, il arrive à l'occasion que l'appellation de politique budgétaire soit restreinte à la gestion des dépenses, mais cette désignation spécifique constitue l'exception plutôt que la règle.

Les principaux instruments de la politique budgétaire sont :

  • les dépenses publiques, lesquelles comprennent les dépenses de fonctionnement (rémunération, location, formation, déplacements, etc.), les dépenses de transfert (aides et subventions diverses tant aux individus qu'aux sociétés ou gouvernements locaux), les dépenses d'investissement (équipements et infrastructures de toutes sortes) et le service de la dette;
  • les recettes publiques réfèrent à l'ensemble des prélèvements (impôts, taxes et cotisations sociales) et des recettes exceptionnelles (droits miniers, pétroliers ou gaziers, dividendes, vente d'actifs…) qui forme les ressources de l'État;
  • le solde budgétaire est l'écart positif (excédent) ou négatif (déficit) entre les recettes et les dépenses. Cet écart peut être le fruit d'une volonté délibérée d'augmenter les dépenses, de diminuer les prélèvements, d'accumuler quelques réserves ou de compenser certains déséquilibres conjoncturels.

Fonction de la politique budgétaire

Par la politique budgétaire, l'État utilise le budget non seulement pour équilibrer ses comptes, mais également pour influer sur la conjoncture économique. En fait, la régulation de l'économie semble aujourd'hui être devenue l'objectif premier de la politique budgétaire, freinant l'activité en cas de déséquilibre des échanges extérieurs et d'inflation et la stimulant lors de récessions ou de crises majeures. Ainsi, lorsqu'il y a fléchissement des dépenses des consommateurs et de la demande privée, les gouvernements vont chercher à en diminuer l'impact, sur la demande globale, en augmentant les dépenses publiques ou en diminuant les impôts et en faisant des déficits. En dépensant davantage qu'il n'en prélève, l'État a indéniablement un effet stimulant sur l'activité économique.

L'injection de fonds supplémentaires dans l'économie entraîne des effets en cascade appelés effets multiplicateurs. Selon la théorie du multiplicateur, l'addition d'une unité de dépense publique, non financée par l'impôt, permet un relèvement plus que proportionnel du produit intérieur brut (PIB). Un nouvel équipement public, par exemple, va induire une production supplémentaire et de nouveaux revenus dont la partie non épargnée stimulera la production dans d'autres secteurs de l'économie, engendrant de nouveaux revenus et ainsi de suite.

Politique automatique ou discrétionnaire

L'atténuation des aléas de la conjoncture par les recettes et les dépenses publiques peut se faire mécaniquement ou de façon arbitraire. Il est possible en effet de laisser les programmes publics s'ajuster au cycle économique ou d'intervenir directement pour en modifier le cours. Dans le premier cas, les recettes et les dépenses ont un effet de stabilisation automatique, alors que dans le second, des mesures particulières sont mises en œuvre.

Un ralentissement de l'activité entraîne une augmentation des dépenses publiques, car certaines dépenses (chômage, aide sociale…) sont directement liées à la conjoncture économique, et d'autres ne peuvent être facilement diminuées, quelles qu'elles soient (rémunération, transferts, engagements contractuels, etc.). Ceci au moment même où les recettes diminuent, créant une détérioration du solde budgétaire. En revanche, la croissance économique (par son effet sur la production, l'investissement, les revenus et le chômage) génère de façon mécanique des entrées de fonds additionnelles pendant que les dépenses diminuent ou restent stables. Un mécanisme de stabilisation automatique est donc à l'œuvre, à travers l'ensemble du dispositif des programmes gouvernementaux, et permet d'amortir les variations conjoncturelles de l'activité économique dans la mesure où les ménages et les entreprises ne modifient pas leur comportement de consommation et que les taux d'intérêt ne sont pas affectés.

Aux stabilisateurs automatiques s'oppose une politique budgétaire discrétionnaire ou volontariste. Celle-ci inscrit un changement délibéré en matière de dépenses, d'impôts et de transferts plutôt que de laisser jouer la seule dynamique de stabilisation. Dans un contexte national, où la taille relative du secteur public dans l'économie est limitée, ou dans le cas d'une crise économique de grande ampleur, le recours à une politique budgétaire discrétionnaire peut être justifié. De manière générale, cependant, la difficulté d'anticiper l'évolution de la conjoncture, les longs délais de mise en place des mesures particulières et l'imprécision du ciblage rendent incertaines les conséquences des interventions discrétionnaires tout en augmentant le risque de distorsions dans l'économie.

Limites et contraintes de la politique budgétaire

L'outil budgétaire n'est pas un outil de précision qui imprime une direction stricte à l'économie. La relance budgétaire est en effet limitée et entachée d'imperfections qui ne facilitent pas son utilisation. Les principales difficultés proviennent de la contrainte extérieure, du financement des déficits et du poids de la dette publique.

L'ouverture croissante des économies vient réduire l'effet du multiplicateur parce que l'injection de sommes additionnelles par l'État ne touche pas que les producteurs nationaux; une partie est employée pour des achats à l'étranger et, en sortant des circuits de production et de distribution intérieurs, perd sa capacité d'engendrer localement des retombées économiques supplémentaires. En outre, la croissance des importations peut entraîner un déséquilibre de la balance commerciale et une instabilité de la devise nationale, ce qui susciterait une hausse des taux d'intérêt et une diminution des investissements. Il faut reconnaître toutefois que le risque est amoindri lorsqu'une crise touche tous les pays en même temps et que tous adoptent des mesures de relance.

Le financement des déficits budgétaires pose également problème. D'une part, le recours à la création monétaire peut être source d'inflation et, d'autre part, les emprunts publics risquent de créer un effet d'éviction. La concurrence entre le privé et le public, pour l'accès aux ressources d'épargne, se fait généralement au détriment du privé, de sorte que la réduction des capitaux disponibles augmente le coût du financement des projets privés d'investissement, handicapant la croissance. Là encore cependant, en situation de diminution généralisée du crédit et de taux d'intérêt très bas, l'impact négatif d'une relance budgétaire sur l'investissement privé est fortement atténué.

Des déficits répétés sur plusieurs années vont augmenter la dette publique et la charge que celle-ci représentera dans l'avenir. Cette situation n'est pas sans risque : une dette importante implique le versement d'intérêts considérables et le poids de cette charge dans le budget augmente la probabilité d'un nouveau déficit qui, à son tour, pourra entraîner une hausse des taux d'intérêt, etc. C'est le cercle vicieux de la dette. Elle crée sa propre dynamique et, à terme, le poids de la dette peut ainsi devenir insoutenable, entravant la capacité de l'État, non seulement à stimuler l'économie, mais à mener les actions attendues de lui dans d'autres domaines.

Règles budgétaires

À partir de la récession du début des années 1990, les déséquilibres budgétaires récurrents des pays de l'OCDE sont devenus des objets de préoccupation majeure. Les velléités de reprise de contrôle des finances publiques maintes fois proclamées n'ayant pas produit de résultats significatifs, certains pays ont commencé à se donner des règles formelles plus strictes. En 2009, quelque 80 pays avaient mis en place un cadre contraignant leur politique budgétaire, de leur propre chef ou pour respecter des engagements internationaux.

Une règle budgétaire est une restriction permanente imposée à la politique budgétaire. Elle consiste à fixer une limite ou un objectif numérique aux grands agrégats des finances publiques (recettes, dépenses, solde budgétaire, dette). Le maintien de la discipline budgétaire s'en trouve facilité et les efforts d'assainissement budgétaire qui en découlent, pour peu qu'un consensus
sociopolitique ait présidé à l'adoption de la règle, sont mieux acceptés.

Poursuivant des objectifs divers, ces règles budgétaires peuvent prendre différentes formes, mais, en général, s'inscrivent dans la perspective d'assurer la viabilité à long terme des finances publiques. Voici quelques exemples :

  • les règles d'équilibre budgétaire qui spécifient un objectif d'équilibre global des recettes et des dépenses, structurel ou cycliquement ajusté, accompagné ou non d'une référence explicite au poids relatif de la dette dans le PIB;
  • les règles relatives à la dette qui établissent une limite ou une cible précise à atteindre quant au poids relatif de la dette dans le PIB, mais qui fournissent peu d'encadrement budgétaire lorsque la dette est inférieure à ce plafond;
  • les règles touchant les dépenses qui fixent des limites permanentes aux dépenses publiques en termes absolus, en taux de croissance ou en pourcentage du PIB et qui, comme telles, n'ont pas de lien avec la dette puisqu'elles ne contraignent pas les recettes;
  • les règles concernant les recettes qui imposent un plafond ou un plancher aux recettes, permettant de maximiser la collecte et d'éviter un fardeau fiscal excessif, sans pour autant, elles non plus, avoir de lien avec la dette.

La diversité des règles mises en place indique que des choix doivent être faits. Cibler la dette situe directement la démarche par rapport à la soutenabilité à long terme et à l'équité intergénérationnelle, mais définir un niveau d'endettement souhaitable comporte une bonne part de subjectivité et n'est pas facilement compréhensible du grand public. Une règle relative au déficit, qui s'explique aisément en période de redressement budgétaire, est moins utile et moins contraignante dans la phase haute du cycle économique. Pour ce qui est des dépenses, les règles sont simples et faciles à constater, mais difficiles à tenir et souvent court-circuitées. Quant aux règles relatives aux recettes, elles s'adressent en général aux contribuables mécontents et ne garantissent pas l'assainissement des finances publiques à moyen et à long terme. L'utilisation de normes croisées liant, par exemple, le déficit et la dépense ou la dette, les recettes et les dépenses dans des rapports plus complexes, tend aujourd'hui à se développer et à s'ajuster aux situations particulières des différents pays.

Le cadre défini par les règles budgétaires cherche à allier discipline et souplesse : objectifs clés d'une bonne règle. Autrement dit, permet-il d'assurer la nécessaire discipline budgétaire à moyen terme, tout en étant suffisamment souple pour atténuer les fluctuations du cycle conjoncturel à court terme? Ce rapport dialectique doit trouver un équilibre compatible avec la situation propre à chaque pays. Par ailleurs, un excès de rigidité dans l'application d'une règle mine sa crédibilité. Elle doit être contraignante et assortie de sanctions, mais des dérogations ou des compromis doivent demeurer possibles et offrir une certaine flexibilité. L'engagement ferme des gouvernements et le soutien durable des populations exigent qu'une latitude existe.

Soutenabilité des finances publiques

Généralement, la soutenabilité est définie comme la capacité d'un gouvernement de faire face à ses engagements financiers à long terme. Parmi les facteurs qui amènent à s'interroger sur la viabilité des finances publiques, il y a la progression importante de la dette des gouvernements, la rigidité de certaines dépenses publiques et le vieillissement des populations. Ces éléments préoccupants laissent voir que la préservation dans le temps des programmes et des avantages actuellement consentis par les gouvernements pourrait ne pas être acquise définitivement.

Cette question peut être appréhendée du point de vue de la contrainte budgétaire intertemporelle et du point de vue de l'équité intergénérationnelle. Dans le premier cas, il s'agit de s'assurer qu'il sera possible de dégager dans l'avenir les excédents qui permettront de couvrir la dette. En effet, plus la dette est élevée, plus il faudra, pour la réduire ou la contenir, produire des soldes budgétaires positifs, ce qui implique que des changements importants devront être apportés à la structure des dépenses. Dans le second cas, il faut éviter de transférer le fardeau des dépenses actuelles aux générations futures en équilibrant l'effort à entreprendre : plus l'assainissement des finances publiques prendra de temps, plus les ajustements seront coûteux, entraînant une hausse de la pression fiscale ou des réductions dans les services.

La soutenabilité est au cœur des préoccupations actuelles des gouvernements et inspire les réflexions en matière de finances publiques. Il ne fait pas de doute qu'elle continuera d'occuper une place importante dans les débats à venir sur les orientations que devraient prendre les politiques budgétaires.

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Reproduction
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Pour citer
Cliche, P. (2012). « Politique budgétaire », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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